Chapitre 1

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Je regarde par la fenêtre en mordillant mon stylo. J'en ai marre d'être assise le cul sur une chaise à attendre que le temps passe. Quand je pense qu'à l'autre bout du monde, un tsunami vient d'avoir lieu et que je pourrai simplement aller aider ces pauvres gens à reconstruire leurs vies qui furent brusquement bouleversées voire détruites. Mais non. Il faut que je continue à écouter ce putain de prof qui deblatère son cours qui ne me servira probablement jamais.

L'espèce humaine a perdu le sens des priorités. Pendant que nous apprenons gaiement nos leçons, le monde s'écroule et nous tous, moi y compris, sommes trop cons pour empêcher le désastre qui va se produire. Je regarde ma classe.

Tous concentrés à écrire ce foutu cours sur leurs copies... C'est vrai que les dérivées leur seront terriblement importantes quand il ne restera plus rien. Je renifle de mépris. Il y a vraiment quelque chose que je ne comprends pas dans notre nature. Mais bon, pas grave. Si eux ne sont pas résolus à voir les choses en face, moi, je le ferai dans mon coin. Ma précieuse liste est déjà faite. Quand tout s'effondrera, je serai prête, et à partir de cet instant, ce sera chacun pour soi. La cloche sonne enfin, fin du cours. Je ramasse mes affaires en vitesse, mais alors que je me dirige d'un pas rapide vers la porte, cet abruti de prof me hèle :

-Néa, je voudrais te parler si tu veux bien.

Sa voix n'appelle clairement pas au refus. Je m'avance vers lui sans un mot.

-Écoute, je commence sérieusement à m'inquiéter... Au début de l'année, tout allait bien, tu étais épanouie, tes notes reflétaient ton intelligence, tu étais l'une des plus brillantes, destinée à un avenir radieux ! Mais depuis quelques temps, ça a changé... Tu es en Terminale, tu n'est pas sans savoir que cette année est cruciale pour ton avenir, et pourtant, voilà que ta moyenne chute et que ton bulletin nous décrit une jeune fille distraite, renfermée, qui ne prête plus aucune attention au monde qui l'entoure. Ça risque de compromettre ton futur , que s'est il passé Néa ?

Je ricane intérieurement. J'ai tout simplement compris que d'avenir, je n'en avais pas. Personne n'en a. Mais je veux que cet entretien se finisse au plus vite, j'ai autre chose à faire. Alors je la boucle, comme toujours.

- Je m'excuse. Je ferai des efforts.

Il me regarde, sceptique, avant d'ajouter :

-Tu ne veux pas en parler ? Nous pouvons peut-être t'aider Néa. Je commence à te connaitre, ça fait deux ans que je t'ai en classe. Et il y a quelque chose qui a changé chez toi. Pourtant je connais tes parents, je sais que tu n'as pas de problèmes particuliers chez toi, même si tes parents ne te prêtent pas une grande attention.

-Tout va bien pour moi, merci de vous en inquiéter. Je vous l'ai dit, je ferai des efforts. Je ne peux rien faire de plus pour vous monsieur.

-Néa,  ce n'est pas pour moi! C'est pour toi, pour ton avenir. Tu es brillante. Ne gâche pas ça.

-Merci monsieur. Au revoir.

Sur ces mots, je tourne les talons. Je l'entends soupirer. Il n'est pas parvenu à me faire cracher le morceau. Et heureusement, sinon, j'aurais été bonne pour l'asile. Foutue société. Je marche d'un pas rapide dans les couloirs. Une fille m'interpelle, me faisant sursauter. C'est l'autre solitaire de la classe. Petite et à lunette, trop gentille pour s'intégrer.

-Eh Néa ! Il te voulait quoi le prof ?

-Que je lui enseigne le Karaté.

-Très drôle ! Allez raconte moi !

-J'ai pas que ça à faire Emma... On a fini les cours, tu devrais rentrer chez toi.

-J'ai rien à faire de toute façon...

Je sens une certaine tristesse dans sa voix. Elle n'a pas d'ami. Pour ma part, je n'en ai plus vraiment. Je me suis progressivement éloignée d'eux, plus ou moins volontairement. Oh et puis merde.

-Tu veux venir passer l'après midi chez moi?

-Qu... Quoi? Sérieusement ? S'écrit-elle, Ouais carrément ! On pourra réviser les maths ensemble !

Aïe. Parfois je déteste mon impulsivité. Elle me regarde des étoiles dans les yeux. J'inspire un grand coup. Ce n'est qu'une après midi. Sur le chemin du retour, je consulte les informations. Ça chauffe de plus en plus. Les tensions grimpent partout dans le monde. Les catastrophes s'enchaînent de plus en plus vite, les prix flambent puisque les ressources disparaissent. Une notification attire mon attention. Ça y est. Nous sommes 11 milliards sur Terre.

La croissance démographique a dépassé les attentes. La population explose, les ressources se raréfient. Pas besoin d'être un génie pour comprendre que nous allons rencontrer un problème. Et ce ne sont pas les mesurettes que prennent notre cher président qui vont nous sauver. Il mise sut le court terme, comme nous tous... Nous marchons sans parler. Emma reste flanquée d'un immense sourire.

Heureux les simples d'esprit comme dit mon père. Je secoue la tête. Il faudrait vraiment que je parvienne à positiver. Enfin, nous atteignons ma maison. Petite maison, commune, sans jardin. Je ne me suis jamais vraiment sentie à ma place ici, même si je déteste être dehors. J'ouvre la porte et invite Emma à rentrer. Celle ci ne se fait pas prier. J'entends du bruit venir de la cuisine:

-Néa ? Tu as ramené quelqu'un à la maison?

Je remarque la pointe d'espoir qui teinte les paroles de ma mère.

-Oui, c'est Emma, une... camarade de classe.

Ma mère apparaît, les cheveux en désordre.

-Oh bonjour Emma, lance-t-elle, ravie de te rencontrer ! Même si Néa ne m'a jamais parlé de toi!

Je me frappe mentalement le front. Ah décidément, ma mère sait y faire.

-Allez viens, on monte. Je dis à Emma

-Si vous avez faim, j'ai préparé un gâteau ! Lance ma mère derrière nous.

Enfin, j'ouvre la porte de ma chambre. Emma pousse un petit cri de surprise. J'avoue que c'est un peu le bazar, mais tout de même. Elle scrute une à une les différentes feuilles qui recouvrent les murs. Des données. Des listes, des chiffres. Toutes ces choses qui pourraient m'être utiles si ça arrive.

-Mais... C'est quoi tout ça ? Me demande-t-elle finalement.

-Ça, c'est le fruit de ma paranoïa. Ou du moins c'est ce que tout le monde cherche à me faire croire. Tu vois, je me suis pas mal documentée sur le monde qui nous entoure. J'ai relevé des chiffres, lu des articles, tenté des simulations... Et absolument tout me porte à croire qu'on est très mal barrés pour dire les choses simplement. Mais tu n'es pas sans le savoir. On t'as assez rabâché les oreilles avec les histoires de réchauffement climatique, de surpopulation, de pénuries... Sauf que ça paraissait éloigné jusqu'à maintenant. Mais selon  les modèles les plus optimistes, l'effondrement est prévu aux alentours de 2050. Ça pourrait signifier la fin de l'humanité ou le commencement d'une nouvelle ère. Quoiqu'il en soit, j'assure mes arrières et je me prépare.

-Mais... Balbutie-t-elle, on est en 2041... On a assez de temps pour trouver des solutions non?

-On a réussi à reculer la date au maximum. À présent, je suis convaincue qu'on n'y coupera pas. Mais ce n'est que mon avis.

Elle me regarde avec des yeux ronds. Ça y est. Elle regrette d'être venue.

Pour qu'on se souvienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant