Chapitre 8

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À peine quelques minutes plus tard, je croise une femme qui avance d'un pas rapide, tête baissée, le visage caché par un masque anti poussière. J'ai de la peine pour cette femme qui tente de se protéger comme elle le peut. Mais si elle n'est pas du groupe B+, elle y passera au vu de ses modestes moyens. Elle laissera peut-être derrière elle une famille orpheline. Et elle aura elle aussi eu sa responsabilité dans ce drame.

Rien de tout ça n'aurait eu lieu, si le peuple s'était soulevé contre les dirigeants qui prônaient la croissance à tout prix, quand il en était encore temps. Je me souviens avoir vu dans ces documentaires, les soulèvements populaires en faveur d'un changement de politique aux alentours de 2020. Ces pauvres gens souhaitaient se faire entendre, pour sauver le plus de monde possible. Mais la population a choisi de faire la sourde oreille, de privilégier son petit confort. Je me souviens de leurs marches pour le climat, qui se sont transformées en blocages, puis en prises d'otages voire en attentats. Tout ça pour tenter d'attirer l'attention sur la catastrophe que le monde choisissait d'ignorer. Mais je me souviens surtout de la répression à laquelle ils ont fait face. On tire souvent sur le messager porteur d'une mauvaise nouvelle.

Mais en 2020 déjà, les dés étaient jetés. Je secoue la tête pour évacuer toutes ces pensées. La femme a disparu depuis longtemps maintenant, mais je ne m'arrête pas. J'observe les noms de rues défiler, sans vraiment savoir où je vais. La plupart des volets sont fermés, et les seules personnes que je croise marchent vite, laissant derrière elles un vent de panique. Au croisement d'une rue, j'aperçois un père fracasser la devanture d'une pharmacie devant sa femme et ses deux petites-filles. Ça commence. Sous mes yeux, l'une des petites filles semble s'évanouir dans les bras de sa mère. Cette dernière l'allonge précipitamment au sol en hurlant son nom à plusieurs reprises. Le père l'écarte, pose son oreille contre sa poitrine. Je sais ce qu'il va entendre. Son cœur bat toujours  pour les deux  prochaines heures seulement. Elle est perdue, elle n'était pas B+.

Je détourne les yeux du spectacle et poursuis ma route. Je finis par tomber sur un hangar désaffecté, enfin ! Je force rapidement l'entrée. Heureusement pour moi, il semble avoir été abandonné il y a peu, aucune trace de squatteurs à l'intérieur. Il n'y a plus rien du tour à vrai dire, à part un escalier menant à un petit bureau. Je décide d'y établir mon campement provisoire. Je décale le bureau contre un mur, et j'étale mon petit matelas gonflable ainsi que mon duvet. Un rire cynique m'échappe. Une véritable survivor dans un vieux hangar qui pue le renfermé. Je pose mon précieux sac à côté de mon lit de fortune et observe avec satisfaction mon œuvre.

J'essaie tant bien que mal d'écarter l'idée que des personnes meurent par milliers à l'extérieur à cet instant. Je descends les escalier et prends soin de refermer la porte à double tour, et de nouer une corde entre les deux poignées pour empêcher un peu plus l'accès. Sinon, je pourrais toujours fuir par l'escalier de secours. Parfait.

***

Les sirènes à l'extérieur de retentissent désormais que rarement. Pendant que je me préparais à manger, j'ai entendu un groupe passer devant la porte de mon refuge, ils devaient être 4 ou 5, et marchaient en silence. Globalement, le bruit s'est atténué quand la nuit est tombée. Mais cette nuit, personne n'osera s'endormir, de peur de ne pas se réveiller.

Je vais rester dans ce hangar encore deux jours, et ensuite j'irai faire un tour en ville récupérer ce qu'il me faut. Après ça, je me planquerai quelque part pour le restant de mes jours ! Un endroit où personne ne pourra venir me rappeler ce que j'ai perdu. Soudain, un coup sourd retentit dans tout le hangar, faisant trembler les murs en tôle. Je me redresse en sursaut et me débarrasse de mon sac de couchage.

-Mais qui a eu la putain d'idée de fermer cette porte ?!

C'est une voix d'homme. Merde. En vitesse, je récupère un maximum d'affaires éparpillés avant d'enfourner mon duvet dans mon sac, que je balance sur mon dos. Je n'arrive pas à définir le nombre de personnes qui s'en prennent à mon abri. Je me concentre seulement sur les coups, de plus en plus violents. J'ouvre précipitamment la petite fenêtre du bureau, abandonnant mon matelas derrière moi. Pas le temps. J'enjambe le rebord et atterrit sur l'escalier de secours... Qui fait un bruit monstre quand je me réceptionne. Bonjour la discrétion.

Les coups s'arrêtent, ils viennent me chercher. Sans attendre, je dévale les escaliers quatre à quatre. Si je cours le plus vite possible, il me reste une chance de m'en sortir. Je m'apprête à crier victoire en apercevant la fin de l'escalier, quand je me heurte violemment contre un torse. Sonnée, je ne prends même pas la peine de me débattre quand la personne s'empresse de fouiller dans mes poches et me prends la clé. Ensuite, il me saisit par le col et me remets sur pieds, avant de me trainer derrière lui. Il ouvre la porte du hangar, ma corde ne lui résistant pas une seconde, et me lance au sol.

Ensuite, il se retourne et fait entrer un garçon, de 10 ans grand maximum, le visage couvert d'un masque anti poussière, comme celui de mon agresseur. Il referme la porte à clé, et prend ma corde, qu'il sait vraisemblablement bien mieux utiliser que moi. Je me relève doucement, en posture de défense, je ne sais pas ce qu'il me veut . Il se plante face à moi, et retire son masque. Ses yeux verts me transpercent, il doit avoir la vingtaine maximum. Et il me dépasse d'un tête.

-Qu'est ce que tu fous chez moi? Et surtout, pourquoi tu as en ta possession une clé de la BMO ? Me demande-t-il d'un ton menaçant. Je n'ai pas de temps à perdre avec toi, alors sois tu me réponds immédiatement et je pourrai considérer que tu as une utilité potentielle, sois je te descends sur le champ.

Pour qu'on se souvienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant