Chapitre 12

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Les minutes passent à une lenteur infernale. Samuel observe toujours mon œuvre d'un air neutre. J'attends qu'il me dise quelque chose, mais rien ne vient. Finalement, il semble se réveiller et se retourne sans m'adresser un mot de plus. La frustration me force à agir, j'en ai assez d'être enfermée dans ce hangar! Être privée de ma liberté de mouvement commence à me rendre folle. Je lui attrape l'avant bras, il se dégage très brusquement et m'attrape par le col:

-Ne. Me. Touche. Pas. Grince-t-il.

-Très bien. Compris. Tu peux me relâcher s'il te plaît ?

Il me lâche lentement pour encore bien me faire sentir sa supériorité. Il a de la chance de faire 2 têtes de plus que moi. Je tente ma chance autrement:

-J'ai besoin de sortir.

-Dans deux jours, on se tire. Je te l'ai déjà dit.

-Non Samuel, écoute moi ! J'ai vraiment besoin de sortir... Pour... Des besoins féminins.

-Tu mens. Ne me fais pas croire une seule seconde que tu n'as pas pensé à... Ça !

Il accentue le mot "ça " avec une grimace de dégoût.

-Si tu as fouillé mes affaires, tu as vu que j'ai omis ce détail.

Je bluffe. Je prie pour que ce crétin ne sache pas ce à quoi ressemble une cup. Il fronce les sourcils. Il sait qu'il ne peut pas me refuser ça.

-Bon. Amène toi, on va chercher ça.

Parfait, ça va être le moment de se faire la malle. S'il veut de la compagnie, il n'a qu'à prendre un chien. Moi, j'ai d'autres projets.

***

Nous sortons enfin du hangar. Il doit être aux alentours de midi au vu du niveau du soleil. Samuel a mon sac sur son dos, il refusait de laisser nos affaires sans surveillance. Il a tassé son sac à l'intérieur du mien, et a dégagé tout ce qu'il jugeait inutile. Maintenant, il faut que je trouve comment le récupérer, et comment filer en douce. Samuel reste derrière moi pendant que nous marchons, m'indiquant de façon autoritaire quand je dois tourner, tel un GPS façon dictateur. Le silence qui règne est très particulier. Le temps semble s'être arrêté. Je m'attendais à tomber sur des cadavres à chaque coin de rue, mais il n'en est rien. Il n'y a personne, comme si les gens s'étaient tous réfugiés dans leur foyer pour mourir. Les seules traces du drame en cours se traduisent par des débris de verre à divers endroits, et par quelques masques anti poussière abandonnés. En levant la tête, je surprends une jeune femme emmitouflée sous plusieurs couches de vêtements à nous observer de son balcon. Elle s'empresse de claquer la fenêtre quand elle remarque que je l'ai vue.

Nous finissons par arriver au niveau d'une supérette au  bout de quelques minutes de marche. Personne n'est encore venu la vandaliser. Nous serons donc les premiers. Que le jeu de la survie commence !
Samuel sort ma fameuse clé et me pousse à contournee la supérette pour atteindre l'entrée de service qu'il déverrouille en un clin d'oeil. Il me pousse à l'intérieur et allume l'interrupteur. Ensuite, il verrouille derrière lui et me lance:

-Va chercher tes machins. Je vais voir si je nous trouve quelque chose d'utile.

Obéissante, je fais mine de me diriger vers le rayon hygiène. Il me surveille, je le sais. Je commence à piocher au hasard quelques boîtes de tampons. Il finit par détourner les yeux, gêné. Il file vers le rayon bricolage. Parfait. Je m'empresse de chercher une deuxième porte de sortie déverrouillée, ou une sortie de secours. Je finis par en trouver une. Je m'imagine assommant Samuel pour récupérer mon sac avant de partir rejoindre un lieu sûr. Il fait 40 kilos de plus que moi, bonjour l'affaire. Soudain, une clameur s'élève à l'autre bout du magasin:

"À tous les français qui nous écoutent. Nous vous demandons de garder votre sang-froid malgré la tragédie qui frappe notre monde. La loi martiale a été décrétée ce matin. "

Curieuse, je m'avance vers la source du bruit. Je trouve Samuel, assis devant une télé qu'il a dû dénicher sous la caisse. La présentatrice qui parle n'est pas celle habituellement mandatée pour les situations de crises. Visiblement, cette dernière  n'était pas B+. Celle qui la remplace a les yeux cernés, et graves. Pendant qu'elle parle, un bandeau rouge défile en bas :
"Selon des sources scientifiques, seuls les individus du groupe sanguin B+ sont résistants à la pandémie. Aucun vaccin viable n'a pu être élaboré. Les recherches se poursuivent.".
Ainsi, le gouvernement a choisi de ne plus garder le silence. Le pays doit être sacrément mal en point... Je me focalise sur le discours de la jeune femme.

"L'armée a pour objectif de maintenir l'ordre, et de protéger les citoyens innocents, souvenez vous en. Cependant, au vu des effectifs très réduits, sachez que son action se concentrera essentiellement à la pointe Nord du pays. Le gouvernement y a été transféré. Du moins... Le ministre de la culture et celui des affaires étrangères. À tout nos concitoyens de groupe B+: nous vous invitons très fortement à converger vers le Nord Est du pays. Le point d'entrée se situant à Lille. Nous ne sommes malheureusement plus en mesure de garantir la sécurité de nos concitoyens. "

Je ricane intérieurement. Sans blague.

"Sachez également que des événements climatiques extrêmes ont été annoncés pour cet hiver, dont la nature et l'ampleur exacte n'ont  pas encore été définies. La face Nord Est du pays semble être la plus épargnée selon de nombreuses simulations. Nous ne pouvons que vous encourager à venir vous mettre à l'abri au plus vite. Ceci est probablement l'un des derniers bulletin qui sera diffusé. Je vous souhaite force et courage. Vive la France."

Et l'écran redevient noir.
L'armée... Un refuge, ça signifie de l'ordre, de quoi manger, de quoi boire, de quoi dormir, mais avant tout, la sécurité. Si le gouvernement a toujours été faible, l'armée a jusqu'à présent toujours fait ses preuves. Je m'empresse d'aller chercher une carte au rayon librairie. Une grande carte de la France. Je retourne vers Samuel qui ne bouge toujours pas, les yeux fixés sur l'écran noir. Je me saisis d'un stylo, en entoure la ville de Lille ainsi que ma ville d'origine : la ville de Nay. Nous sommes quasiment à l'opposé Sud du refuge protégé par l'armée, et presque à 900km à vol d'oiseau. Il va me falloir un meilleur moyen de locomotion. Je relève la tête, bien décidée à récupérer mon sac quand je m'aperçois que Samuel se tient la tête, toujours au sol. Il marmonne une phrase en boucle. Je m'approche doucement, pour éviter toute réaction brutale de sa part. Ses paroles me parviennent alors distinctement. Il relève la tête les yeux luisant de rage:

-Il avait raison, il avait raison, il avait raison cet enfoiré !!!

Pour qu'on se souvienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant