Chapitre 5

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-Ecoute-moi bien. Mon chef a reçu aujourd'hui un ordre venant des plus hautes instances du gouvernement. On nous demande de nous préparer à une situation de crise dans les plus brefs délais. Une crise en lien direct avec la fameuse épidémie qui tue aléatoirement en Russie, j'imagine que tu es au courant, lâche-t-il avec un sourire tendu. 

J'hésite à l'interrompre pour lui faire part de ce que je sais, mais comme s'il anticipait, il se met à déblatérer à toute vitesse:

-Visiblement il reste 22 heures à la France avant l'arrivée de la souche sur le territoire. L'information n'a pas encore pris trop d'ampleur, les gens n'ont pas encore réalisé que la maladie va se propager. Mais dès qu'ils réaliseront, ce sera la pagaille, tu le sais aussi bien que moi. Cependant, je vais être réquisitionné ces prochains jours pour sécuriser tous les endroits à risque. Le temps que je revienne il faut que toi et ta mère vous vous mettiez en sécurité. J'ai ramené quelques courses et...

-Papa attends...

-Je sais que ça peut faire peur Néa mais ça va aller, ils ont déjà envoyé des équipes de scientifiques sur le terrain, ça va aller il faut juste que...

-Papa écoute-moi...

-Que toi et ta mère ne sortiez pas ces prochains jours et tout...

Je me mets à crier au bord des larmes:

-Papa!

Il se tait et me regarde. Lui aussi au bord des larmes. Il est trop intelligent pour ne pas avoir compris que cette épidémie est d'une gravité sans précédents. Il tente de ne pas me faire paniquer.

-Néa... Promets-moi de tout faire pour éviter votre contamination...

Je respire un grand coup:

-Papa. Si il y a une personne pour qui tu ne dois pas t'inquiéter, je crois bien que c'est moi. Il y a ce mec sur un forum, il m'a dit que les personnes du groupe sanguin B+ seraient épargnées... J'y ai pas cru, je te jure! Mais regarde les données par toi même, le groupe B+ est épargné et je, je... Je ne parviens pas à finir ma phrase avant d'éclater en sanglots.

Il ne cherche même pas à me poser plus de question et s'empare de l'ordinateur, resté ouvert sur mes jambes. Il s'assoit à mes côtés et se met à taper à une vitesse folle sur le clavier. Il parcourt la page de la liste des victimes du regard. Depuis que je l'ai consultée, elle a bien doublé de longueur. Je vois précisément dans les yeux de mon père le moment où il réalise. Où il réalise que je dis vrai, où il réalise qu'il est condamné, au même titre que son amour. Étrangement, les larmes qui peuplaient ses yeux il y a quelques secondes ont disparu. Il repose l'ordinateur, et se relève. Il reprend d'un ton calme:

-Très bien. J'imagine que les hautes sphères du gouvernement sont au courant mais se refusent à alerter la population. Elle paniquera moins si elle croit qu'il lui reste même une chance infime de survivre. Plus une population panique, plus elle devient complexe à gérer. Quelle bande de connards. 

Mais dans ses yeux, je vois qu'il sait au fond de lui qu'ils ont raison. La tâche s'annonce très difficile pour la Brigade du Maintint de l'Ordre, si 92%  de la population se rend compte qu'elle n'a plus rien à perdre...

-Ecoute ma puce... La ville va devenir le pire endroit où se trouver dans quelques jours. Prends ton fameux sac là, j'ai acheté quelques bricoles qui te seront peut-être utiles. Prends tout ça, et après ça je t'emmènerai hors de la ville. Si nous sommes condamnés, je veux que tu aies toutes les chances de ton côté.

Mes larmes ne cessent de couler, la sensation qui me tord le ventre est tout simplement indescriptible.

-Je veux rester avec vous, je peux pas, je suis pas prête papa...

-Tu es prête ma fille. Je dois rester ici pour protéger les pauvres gens qui, eux, n'auront pas eu la bonne idée de fuir la ville.

Sa voix tremble, remplie de culpabilité. J'ai l'impression de redevenir une enfant, face à ce qu'elle a toujours redouté.

-Tu ne peux pas m'abandonner comme ça!! Tu dois venir avec moi pour me protéger, et avec maman! On s'éloignera assez pour éviter la contamination et...

-Ma grande... La bactérie se propage par voie aérienne. Un joli mot pour dire qu'on ne peut pas y échapper. Je me refuse à expirer mon dernier souffle devant toi. Je sais bien que c'est difficile, mais je veux te mettre à l'abri. Tu dois partir, et vivre, pour nous. Alors prends ton sac et rejoins-moi dans la cuisine, tu as cinq minutes.

Il tourne le dos et s'empresse de sortir de la chambre. Je reste assise là, hébétée. Impossible de réaliser. Le bruit d'une voiture qui démarre me sort de ma torpeur, et je rentre en pilote automatique. Je plonge sous mon lit, attrape ma boîte et rentre tout ce que je peux à l'intérieur de mon sac. Sac de couchage, briquets, nécessaire de toilette, trousse de secours, stocks de nourriture... J'entends au loin la porte claquer. Ma mère vient de faire son entrée. Ses pas rapides grimpent les escaliers, elle ouvre ma porte avec fracas et se jette à moitié sur moi.

-Néa, oh mon dieu, ça va ? Tu as de la fièvre tu te sens fatiguée? Il faut aller aux urgences, j'ai entendu parlé d'une horrible épidémie à la radio, aller vient on y va tout de suite! 

Mon père apparaît dans l'encadrement de la porte. Ma mère l'agresse immédiatement:

-Ça fait des heures que j'essaie de te joindre!!! Il faut l'emmener à l'hôpital sur le champ!

-Cynthia, calme toi. Si c'était l'épidémie qui a fait plus de 600 victimes, notre fille serait déjà en piteux état. Elle ne craint rien rassure toi. Je l'emmène en lieu sûr.

Elle fixe mon père, les yeux fous.

-En lieu sûr?! L'hôpital est la meilleure des options merde! Où veux tu l'emmener?

-A l'écart de la ville.

 -Mais ça va pas?! Je l'emmène aux urgences.

Elle se relève et me tire par la main, avant de m'entraîner dans les escaliers. Je suis trop choquée pour prononcer le moindre mot. Mon père l'attrape vivement par le bras:

-Si tu l'emmènes elle est condamnée! Il nous reste une chance de la mettre en lieu sûr, ne gâche pas ça Cynthia!

-Tu est complètement barge ma parole! Tu veux l'abandonner en rase campagne dans un contexte pareil?!

Mon père nous sépare, ma mère tente de se défaire de son emprise, tout en lui hurlant toute sortes d'injures. La terreur semble avoir pleinement pris possession e son esprit. Mon père peine à la maîtriser et finit par la plaquer contre le mur.

-Néa, va chercher tes affaires, et monte dans la voiture.

-Ne l'écoute pas!! On va aux urgences!

Mes yeux font des allers-retours entre mon père, stoïque, et ma mère qui tente par tous les moyens de se libérer, en hurlant à plein poumons. Mon visage est inondé par les larmes qui n'ont de cesse de couler. Désolée maman, mais aujourd'hui, toute ma confiance va à l'homme qui nous a toujours sorti des mauvaises passes. Je fonce dans ma chambre, saisi mon sac laissé à terre et retourne dans le couloir à l'instant où mon père verrouille la chambre d'amis d'où sortent les cris furieux de ma mère. Il me prend par le bras, et me fais descendre dans la cuisine où il enfourne toutes sortes d'objets dans mon sac. Je n'y prête même pas attention, omnibulée par les coups sur la porte de la chambre d'amis. Il s'agissait probablement de la dernière vision de ma mère. Mon père me saisi à nouveau par le bras, et me conduis jusqu'à la voiture avant de me faire asseoir sur le siège passager. Il monte à son tour et démarre le moteur, le visage toujours impassible. Je ferme les yeux et murmure:

-Promets-moi que tu lui diras que je l'aime. Promets-le.

-Je te le jure Néa, je te le jure.









Pour qu'on se souvienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant