Chapitre 11

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Le petit s'est éteint. Ça a été terrible quand il a expiré son dernier souffle. Samuel l'a emmené à l'extérieur, il l'a sans doute enterré dans le terrain vague d'à côté. En tout cas, je ne l'ai pas revu de la nuit. Je ne connaissais pas vraiment le petit, mais voir une si petite vie s'éteindre sous mes yeux... J'ai eu un mal fou à contrôler mes émotions. Je me sentais affreusement mal quand Samuel l'a emporté. Ça m'a empêché de prendre mes jambes à mon cou. Je suis restée, là, assise dos au mur, la tête dans les genoux, sans bouger. J'ai juste attendu, et le sommeil a fini par me rattraper. Quand je me suis réveillée, Samuel était de retour, à côté de moi. Il cherchait visiblement un contact humain quand il s'est endormi. Il a perdu sa seule famille cette nuit.

Je tente de me relever lentement, pour ne pas le réveiller. Il est temps que je parte. J'empoigne mon sac à dos, et monte les escaliers pour récupérer mon matelas au passage. Je regarde quelques secondes le soleil qui se lève au loin. La nature poursuit son cycle, peut importe les milliers de vies qui ont dû s'éteindre cette nuit. Je range mon sac de couchage, et redescends en veillant à faire le moins de bruit possible. Mais quand je relève la tête, Samuel est debout, adossé contre la porte.

-Tu me quittes déjà ? Me demande-t-il d'un ton menaçant

Je cherche mes mots avec soin, pour ne pas le froisser. J'aurais dû partir plus tôt.

-Écoute Samuel, je suis sincèrement désolée pour ton petit frère, mais je n'y suis pour rien. Il faut que tu me laisses partir, je dois...

-Tu dois quoi ?

-Quitter cette ville.

-Parfait, moi aussi. Tu viens avec moi.

-Samuel, on peut repartir sur de bonnes bases, je pars de mon côté et tu...

-Tu restes avec moi j'ai dit ! Tonne-t-il.

La colère m'envahit soudain, chassant toute la compassion que j'avais fini par ressentir.

-Mais tu te prends pour qui ?! Tu me séquestre pendant une nuit et maintenant tu veux me forcer à rester avec toi ?! On ne se connaît pas bordel !

Il s'approche de moi comme un prédateur de sa proie. Il me prend violemment mon sac à dos que je ne parviens pas à retenir.

-Ne me parle pas sur ce ton petite idiote. Je suis ta meilleure chance de survie dans un monde qui s'effondre. Quoi? Tu pensais pouvoir t'en sortir avec un couteau suisse et une allumette ? Me raille-t-il, Tu te ferais tuer d'ici la fin de la semaine. Tu penses t'être préparée à ce qui va suivre ? Laisse moi rire. Mon frère voulait que tu restes. Tu restes. Et la prochaine fois que tu me contredis... Je te prive de bouffe.

Et sur ce, il monte dans le petit bureau, avec mon sac. Il "me prive de bouffe". Alors ça c'est la meilleure. Je m'étais préparée à rencontrer de vrai tarés, mais là on frôle le ridicule. J'étudie rapidement un plan d'évasion. La porte d'entrée est verrouillée, même pas la peine d'essayer de la défoncer. La deuxième sortie est à l'étage, je ne l'atteindrai pas avant qu'il ne m'arrête. Je soupire. Encore une fois, me voilà bloquée.

***

Ça va bientôt faire plus de trois heures que je tourne en rond, toute seule dans ce hangar vide. Je vais vite devenir folle sans rien pour m'occuper. Je me rapproche une énième fois de la porte pour tenter de la déverrouiller. Sans succès bien évidemment. J'entends la porte du bureau se déverrouiller, Samuel en sors, avec deux plats de pâte. Il a utilisé mon matos l'abruti. Il descend, et me tend une assiette. Comme c'est mignon. Je m'en empare sans même le remercier, et retourne vers mon coin du hangar, pour m'asseoir contre le mur. Il me suit, et s'asseoit en face de moi, et commence à manger tout en me fixant. Parfait, il a le don pour mettre les gens à l'aise celui là. Il s'éclaircit la gorge.

-Juste pour t'informer... J'ai établi ma chambre là haut, tout le reste est pour toi. Nous partirons d'ici deux jours pour quitter la ville le temps que tout ça retombe.

Je plante mes yeux dans les siens. Je le trouve particulièrement serein pour un mec qui vient de perdre son petit frère. Je ferme les yeux en me remémorant la scène.  Cette petite poitrine qui soudainement a cessé de se soulever... Et dire qu'il arrivera la même chose à mes parents, si ce n'est pas déjà arrivé... Je chasse mes pensées en secouant la tête, et m'aperçois que Samuel attend toujours une réponse.

-Très bien. J'imagine que je n'ai pas le choix. De toute façon je devais quitter la ville depuis le commencement.

-Parfait. Je prendrai ton sac à dos. Tu es trop faible pour porter une charge sur une longue distance.

Je me retiens d'éclater d'un rire cynique. Le pire étant que cet abruti fini est parfaitement sérieux. Je termine mon  assiette et lui tends.

-Il se trouve que je suis aussi trop faible pour faire la vaisselle.

-Pourtant il me semble bien que c'est le travail des petites filles comme toi. Réplique-t-il.

Nous nous toisons pendant plusieurs longues secondes. Il finit par céder, et me lance d'une voix fatiguée :

-Repose toi.

Il rejoint sa "chambre" et me lance à la figure mon matelas et mon sac de couchage. Il doit être midi à tout casser, mais il veut visiblement que j'occupe mon temps à dormir. Par peur esprit de provocation, je me mets en tête de trouver autre chose à faire. Je finis par dénicher un marqueur abandonné à côté du compteur électrique. Parfait, j'ai une surface immense à colorier ! Je le débouche et entame mon œuvre en dessinant toutes sortes de motifs sur l'un des murs. Des animaux, des fleurs, des villages, tout y passe. Le marqueur court sur toute la surface, pendant plusieurs heures, ou du moins je le crois. Finalement, il finit par rendre l'âme, au moment où je commence à mettre sur la pointe des pieds pour poursuivre. Je le jette sur le côté et recule pour admirer mon œuvre dans son intégralité. Je bute contre un obstacle, prénommé Samuel, que je n'avais pas entendu arriver.

-Eh bien petite. Tu m'avais caché que tu avais l'âme d'une artiste.

Pour qu'on se souvienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant