Destin forcé

Chapitre 20 : « Sacré Amadou... »

J'avais tardé à aller au domicile de M. Gaye.

Chaque année, à la date d'anniversaire de la disparition de mon père, ma mère devient une tout autre personne. Cela me fend le cœur de la voir ainsi. C'est toujours les mêmes propos qui reviennent :

-MAMAN : Il n'y a pas pire que de ne pas connaitre la vérité. Je suis croyante et quel que soit ce qui lui est arrivé, je l'accepterai. Mais s'il est mort, qu'on me donne sa dépouille que l'on puisse enfin faire son deuil. Tant que nous ne saurons pas ce qui lui est réellement arrivé Malou nous ne pourrons jamais pouvoir tourner définitivement sa page. C'est dur. Très dur.

*Malou est mon surnom.

Elle avait pertinemment raison. Je la comprenais. Cependant, son attitude ne le ramènerait pas et c'est ce que je me tue à lui expliquer depuis plus de deux heures. Tout ce que nous pouvions faire c'était de prier pour que le Tout puissant nous éclaire sur sa disparition. J'avais fait donner une messe en son honneur, à notre paroisse.

Mon patron ne cessait de me téléphoner. Le retard sur l'heure de démarrage de mon émission ne l'enchantait guère. Je lui dis que ma mère était souffrante et que j'avais dû l'accompagner à l'hôpital mais que j'arrivais. Je ne pouvais pas laisser ma mère dans cet état. Le boulot c'est important certes, mais ma famille passe avant tout.

Les gars discutaient tranquillement avec M. Gaye quand j'arrivai. Je m'excusai pour mon retard et leur expliquai que ma mère était souffrante. J'avais décidé d'apporter un peu d'innovation digitale à mon émission en faisant un live sur Facebook. Cela permettrait aux internautes qui sont au travail à l'heure actuelle de regarder l'émission en temps réel.

Une fois que tout était prêt, nous commençâmes enfin.

-MARIE-LOUISE : Bonjour M. Gaye. Aujourd'hui, j'aimerai que l'on parle de votre ami Amadou. Qu'est-il devenu ?

-M. GAYE : Je vous admire. Vous ne laissez personne sur le banc de touche, vous. Vous ferez un excellent coach. Amadou, Amadou. Ce fameux Amadou...

Quand tu tends le bout des doigts à un Sénégalais, il te tend son bras. Amadou et moi, nous nous sommes rencontrés dans le premier chantier que j'ai squatté. Avant le sien, j'avais fait le tour de plusieurs chantiers, mais j'étais à chaque fois renvoyé comme un malpropre. Amadou, lui m'avait chaleureusement accueilli. Il m'avait passé un long carton afin qu'il puisse me servir de matelas. Il avait partagé des sachets de cacahuètes, lui servant de dîner avec moi. Il divisait par deux tout ce qu'il pouvait ramener. Alors que nous avions franchi la zone « amitié », je lui demandai comment s'était-il retrouvé à la rue. Il me raconta alors qu'il avait été enlevé un jour alors qu'il sortait de chez lui. Il ne se rappelle plus d'aucun détail concernant son passé. Il ne pouvait plus rentrer chez lui étant donné qu'il ne savait même pas où s'était. Il s'arrêtait chaque jour devant les Fast food, restaurants où tout autre point possédant une télévision dans l'espoir de voir sa photo dans la rubrique « disparition » de nos chaines locales, mais rien. Personne ne le cherchait, il ne manquait à personne. C'était ainsi qu'il en avait déduit qu'il devait sûrement ne pas avoir de famille. Nos histoires étaient presque similaires. Moi je n'avais plus de famille car j'avais volontairement abandonné la mienne et lui, c'était sa famille qui l'avait abandonné. La question que je me posais était de savoir ce que les personnes qui l'avaient enlevé lui avait fait afin qu'il n'ait plus aucun souvenir. C'est dramatique.

Nous avons beaucoup galéré ensemble avant que je ne décide de suivre ma propre voie. Je retournais lui rendre visite de temps à autre. Il n'avait toujours pas changé de lieu d'habitation. Lorsque la chance me sourit, j'allai le voir afin de lui proposer un logement à mes frais et un emploi rémunéré. Il fallait le voir ce jour-là, il avait tellement pleuré. La première chose qu'il m'avait dite était qu'il allait enfin pouvoir découvrir ce qu'était un lit.