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La respiration irrégulière et les battements désordonnés du cœur du fugitif paraissaient lui hurler de réagir. La douleur cuisante le lui empêchait, et ses forces abandonnèrent la lutte à leur tour.

Putain, qu'est-ce que tu fous ? C'est pas le moment de laisser tomber.

Les genoux fléchis, il osa un regard derrière son épaule blessée. En haut des marches et à quelques dizaines de mètres, la poignée de soldats l'observait. Sans même distinguer le rictus qui déformait leurs traits, il les maudit de toute son âme.

Kyo inspira profondément, comme pour repousser la souffrance qui s'éprenait de son corps meurtri. Soudain, plusieurs gardes apparurent à l'angle du bâtiment, se pressant dans la brèche de l'issue principale. Lourdement armés, ils ne tardèrent pas à découvrir la silhouette courbée du fugitif et l'un d'eux beugla :

— Il est là ! Ne le laissez pas fuir !

Cet ordre déchira l'air et anima le prisonnier d'un léger sursaut. Il devait fuir, saisir la chance minime de survivre à son évasion.

Aucun regret, Kyo, qu'ils t'attrapent ou non.

Aussi vif qu'il le put, il s'élança en avant, occultant la souffrance qui irradia dans son organisme. Il pénétra dans la forêt et les arbres centenaires s'élevèrent autour de lui, comme pour le protéger de leur sagesse. Une enveloppe organique de sérénité qui ne tarderait pas à se briser sous les afflux barbares des gardes. Une odeur agréable lui emplit les narines et il faillit s'arrêter pour profiter de ce cadre superbe. Il n'eut pas le loisir de s'y attarder davantage et reprit à regret sa course de survie.

L'adrénaline signa son grand retour dans les cellules de son être et ses effets bénéfiques narguèrent les ravages de la douleur. Ses membres nettement moins lourds, les mouvements devinrent moins difficiles et le rythme plus soutenu. Il pouvait percevoir les bruits de pas des soldats martelant le sol. Les ordres lancés à la hâte, la végétation piétinée et leur présence synonyme de danger.

Il faut que je les sème, la forêt est à mon avantage.

Il aurait souhaité en être certain. Il se savait peu habitué aux terrains accidentés où la nature avait repris tous ses droits. Il trébuchait d'ailleurs régulièrement sur les racines énormes qui sillonnaient le sol couvert de verdure. Il ne laisserait rien stopper sa progression, la mâchoire crispée pour endurer les signaux affolants de la douleur. Un sang chaud se répandait et inondait le vêtement rêche de bagnard. Le liquide vital s'écoulait et signait, à court ou moyen terme, une lente agonie.

La douleur ou ses suppôts de merde ! À toi de voir !

Son sens de l'humour n'avait pas entièrement déserté le champ de bataille dérisoire qu'il traversait. Les images bien trop semblables de ses cauchemars s'imposèrent à lui. Le dénouement sera-t-il identique ? Tout semblait s'y prêter, l'angoisse et les pas précipités derrière lui, la peur et la menace omniprésente. Kyo imagina bien malgré lui un seul agresseur et un regard sans fond. Un être venu d'ailleurs dans le simple but de le détruire. Un mirage qui n'existait que dans son imagination. Il ne manquait plus que la silhouette et le souffle fétide, la main s'abattant sur son épaule déjà blessée. Le scénario se construisait, la fatalité s'accomplissait.

Arrête d'y penser, c'est pas le moment de se faire dessus !

Toute la force de sa conviction fut inutile. La panique incontrôlable investissait son organisme et il en perdit l'ensemble de ses moyens. Ses propres pas devinrent ceux de ses agresseurs et il n'y vit aucune espèce de différence.

Coeurs en cage [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant