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 Après cette brève formalité, les heures de marche ne souffrirent aucune nouveauté sans qu'Abby n'autorise aux deux hommes de souffler ne serait-ce qu'un bref instant. Le décor lui, ne changeait pas. Les éternels arbres entouraient leur passage, servant de sentinelles à une fuite forcée. Des sentinelles qui murmuraient sous la caresse du vent.

Finalement, la jeune femme leur ordonna de quitter le sentier qui se faisait de plus en plus étroit et sinueux. Elle prétexta à juste titre le danger de demeurer sur le chemin tracé, un chemin qui pourrait bien les mener tout droit dans les bras des soldats de Déalym. Ils s'engouffrèrent dans les affres de Farétal, grimpant les pentes abruptes jusqu'à ce que les muscles demandent grâce et que l'esprit seul leur permette encore d'avancer. Chacun se gardait bien de se plaindre, Kyo en particulier qui maudissait pourtant cette forêt interminable, la douleur de ses membres fatigués, de son épaule et même Sheran qui ne lui adressait plus aucun regard.

J'sens que ça va être plus compliqué que prévu.

Sheran tut lui aussi ces plaintes litaniques. Il pouvait encore rebrousser chemin, tourner les talons et disparaître avant que sa sœur ne le remarque, trop affairée à leur ouvrir la route pour se préoccuper de sa présence. Les œillades insistantes que Kyo lui volait, comme pour leur rappeler ce qui les unissait, à tort ou à raison, l'empêchèrent de mettre ce plan risible à exécution.

Finalement, et au bout de longues et interminables minutes, Abby décida de s'arrêter pour la nuit. La chaleur étouffante de l'après-midi s'atténuait seulement et l'affluence de plantes aux couleurs vives et de petits champignons lui confirmaient la présence d'une rivière non loin. Elle gardait par précaution une carte de Farétal unique dans son genre que son père avait lui-même dessiné. Un artefact précieux qu'elle conservait sur elle en permanence.

— Bon, c'est fini pour aujourd'hui. On en a assez fait, il faudrait pas s'épuiser dès le premier jour.

Sans tenir rigueur de ses propos, Kyo abandonna son sac dans un soupir quasi triomphal.

Putain, j'y croyais plus !

Sheran fut plus modéré que son patient et déposa simplement son bagage personnel sur une pierre recouverte par une mousse tendre. À quelques pas, Abby s'activait déjà. Elle extirpa ses affaires de l'enveloppe de tissu et les disposa devant elle avec une aisance digne de l'habitude.

Le hors-la-loi se laissa choir sur le sol sans se préoccuper de la terre qui souillait les vêtements empruntés. Il ignora superbement la douleur qui enflammait son épaule, le regard fixé sur le néant, sur l'infini. Il songeait comme seul un être débordant d'humanité pouvait se vanter de réfléchir. Le criminel s'échappait, il n'avait plus rien à voir avec le monstre qui massacrait des individus avec la plus grande des violences. Le masque d'argile se fondait dans ce paysage à couper le souffle et dans les bribes inconscientes du cheminement qui l'attendait.

— Hé, les mecs, c'est pas le moment de se la couler douce ! Y'a du boulot avant qu'il fasse complètement nuit, alors on se remue un peu ! Rendez-vous utiles, il n'y a plus d'eau et elle ne va pas se chercher toute seule. La rivière ne doit pas être bien loin plus au Sud. Allez, on s'active !

C'est possible de la débrancher, juste histoire qu'elle se taise cinq minutes.

Péniblement, Sheran se redressa, imité par son vis-à-vis qui ravala une grimace.

— On y va, mais baisse d'un ton ou tu vas nous faire repérer, tempéra son frère avec humeur.

Ils obtempérèrent sans lui laisser le temps de surenchérir et s'éloignèrent entre les arbres. Deux gourdes en main chacun, ils atteignirent la rivière aux reflets étincelants en quelques minutes de cette marche pensive. Kyo s'agenouilla le premier et affronta bravement la douleur de son épaule, rafraîchissant ses mains, puis son visage, avant de se décider à remplir les gourdes de métal.

Coeurs en cage [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant