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Abby ne fit aucun commentaire lorsque les deux hommes la rejoignirent enfin. Avait-elle deviné à leurs visages déconfits et leurs lèvres gonflées quelle sorte de mascarade elle venait de manquer ? Son instinct féminin lui soufflait-il que quelque chose se tramait derrière cette escapade prolongée ?

Kyo s'assit silencieusement avant de déposer devant la jeune femme les gourdes remplies d'eau. Sheran l'imita, plongé dans le même mutisme bien trop éloquent.

— Vous faites une de ces têtes... commenta sa sœur au bout d'un long moment. Le voyage vous réussit pas ou quoi ? Attendez de voir les courbatures que vous aurez demain avant de vous morfondre !

Demande à ton frérot chéri, je parie qu'il a la réponse.

— C'est juste la fatigue, lâcha médecin, évasif du bout des lèvres.

— Ouais, c'est ça. C'est la fatigue, renchérit l'ancien prisonnier, masquant à peine le sarcasme accumulé dans ces quelques paroles.

Abby ne les crut certainement pas, mais se résigna à supporter l'humeur exécrable des deux hommes. Ils mangèrent accompagné par l'odeur inqualifiable que la nuit déposait sur eux et par les sons mélodieux de la forêt, des oiseaux qui chantaient haut dans les arbres et le vent qui s'emmêlait dans les feuillages. Une douce symphonie, précieuse et délicate.

Sheran s'allongea sur le sol en premier et recouvrit son corps d'une couverture qui le protégeait à peine de la fraîcheur de la nuit. Il réussit sans peine à faire abstraction des pierres qui entamaient sa peau pâle. La dernière chose qu'il vit avant de fermer les yeux fut la rancune féroce de Kyo. Cette vision terrible l'accompagna jusque dans les méandres du sommeil.

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Des cris et du sang.

L'hémoglobine n'a de cesse de s'écouler et tes mains en sont recouvertes.

La nuit t'entoure, te façonne, elle emporte tout et tu sembles en faire intimement partie.

Cette noirceur a construit ce que tu es en cet instant : l'un des plus grands meurtriers qu'ait portés Déalym.

Ce monde est le tien et, pourtant, la peur te dévore, t'annihile.

Qu'est-ce donc que cela ?

L'odeur métallique te prend à la gorge et impose à toi le visage de tes victimes, le regard vitreux et la mine accusatrice figée dans la mort. Leur peau froide te glace le sang.

Ils t'encerclent et leur sang se mélange au tien, victimes et coupable enfin réunis.

Des cris et du sang.

Il fait chaud soudain. La fournaise frise l'insupportable et tu te consumes sous cette bien pénible déchirure.

Tu renais et tes victimes murmurent la litanie de leurs vies brisées. Tu avais vainement tenté d'oublier jusqu'à leurs noms, les voilà qui ressurgissent et te condamnent.

L'assassin s'éveille.

L'assassin est obnubilé par les faces sanglantes de ses victimes. Tu es cette figure vengeresse, cet être à peine humain qui s'est oublié. Le prix du sang est là, la vie réclame sa dette pour toutes les existences volées. C'est ton corps que tu lui vends, car ton âme appartient à la mort et depuis bien longtemps déjà.

Coeurs en cage [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant