Ensemble, les deux hommes franchirent le seuil de la demeure. Les pas incertains de Kyo le guidèrent jusqu'à goûter enfin à la caresse de cette nature grouillante de vie. Il refusa de l'admettre, mais l'aide et l'appui de Sheran lui avaient été indispensables.
Dehors, la hauteur du soleil avait commencé à décliner. L'astre disparaîtrait bientôt derrière la cime vertigineuse des arbres et se parerait de ses couleurs vespérales. Découpant le ciel, les conifères se dressaient jusqu'à saturer le paysage et créer un repère accueillant pour le soleil. L'étoile pourrait s'y reposer quelques heures, avant que l'appel de l'aube déchire la pénombre et délasse le monde endormi de son étreinte. Le cortège de nuances vermeilles cueillit Kyo dans un instant de contemplation. Il suspendit sa marche et admira le spectacle unique dont la nature faisait de lui l'un des seuls témoins. Privilégié par cette démonstration de splendeur, il détailla chaque couleur appliquée, éphémère, mais grandiose.
— Wow, souffla-t-il.
J'pensais pas que ça pouvait être aussi beau.
Le fugitif sentait à peine l'épaule du médecin qui soutenait la sienne, trop obnubilé par la magnificence du paysage. Il en oublia la douleur de sa plaie et la faiblesse de son corps, ému de cueillir cet instant et d'en savourer l'importance bien trop souvent sous-estimée.
— Tu devrais t'asseoir, intervint Sheran, conscient plus que jamais du fardeau qu'il supportait.
— Ouais, t'as raison.
Belle manière de me faire comprendre que je suis pas léger.
Kyo s'affala au sol et se laissa choir sans grâce sur l'herbe fraîche qui bordait le cottage. Ils se situaient à quelques pas seulement de la porte, mais le fugitif avait le sentiment de se tenir au seuil d'un nouveau monde. Un monde vierge, pur, qu'aucun homme n'avait souillé de sa présence. Il s'empressa de repousser l'idée de sa conscience, cette voix nasillarde qui souligna qu'il suffirait d'un être tel que lui pour détruire la perfection d'un pareil endroit.
C'est clair que j'y ai fait une croix depuis longtemps moi, sur le paradis !
Kyo inspira profondément cette senteur boisée, fruitée, sauvage. Ce monde, il l'imaginait à l'image de sa liberté : idéalisée, mais d'une douceur sans nulle pareille. Une échappatoire qui permettrait à son âme impure de connaître le repos et de s'élever plus haut encore que l'esprit de tous les sages. Une liberté qui lui rendrait peut-être un don tout aussi précieux. Son humanité.
Kyo cligna des yeux. Il se sentait bien mieux. Il se sentait ressourcé maintenant qu'il avait goûté à ce dont on l'avait privé et n'était pas tout à fait certain de supporter d'en être séparé à nouveau. Le soleil le narguait de sa face ronde et pleine, comme pour l'inciter à sourire à cette chance nouvelle qui lui était offerte. Un poids s'envola de ses épaules, à moins que ce fût son cœur qui se soulagea de ce lourd fardeau. Un sourire fleurit à ses lèvres jusqu'à effacer l'air sombre qui altérait ses traits, sa morosité, son cynisme et les gouttes de sang qui souillaient son âme depuis bien des années. Il y avait bien aussi longtemps qu'il n'avait pas eu un rictus aussi spontané, aussi vrai. Il souffla :
— Merci.
— Pourquoi ? s'enquit Sheran, automatiquement sur la défensive.
— Pour tout.
Laissant le calme planer comme un irrésistible suspens, Kyo rassembla ses idées avec sobriété avant de reprendre, d'une voix moins frémissante d'émotions :
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Coeurs en cage [BxB]
AzioneAu terme de longues semaines de détention à Madélor, la prison la plus sécurisée de Déalym, Kyo franchit le point de non-retour. Incapable d'accepter la perspective d'une existence en ces lieux et en dépit de tous les dangers, il met en œuvre l'éva...