Kyo était comme fou. Fou de douleur, de rage, de cette violence contre laquelle il ne pouvait rien. Si Abby n'avait pas posé sa main sur son épaule, étonnamment calme, sans doute n'aurait-il pu répondu de rien. Qui savait ce dont un tel homme était capable ? Le monstre se gavait de cette haine viscérale et se tromperait assurément de victime. Azirus ne serait pas le vaincu, même si Kyo le poursuivait jusqu'à mener à bien ses sombres desseins.
— Kyo, asséna Abby, avec persuasion.
Aucune réponse, rien qu'un secouement infime de la tête de l'homme. Le monstre attendait une excuse depuis qu'il avait franchi le seuil de sa cellule de Madélor. En cette heure tardive de la nuit, il la trouvait enfin et caressait du bout des doigts la chance de laisser s'exprimer tout son génie. Un génie macabre, funeste, sanglant.
Mais quel génie !
— Kyo !
La voix était plus ferme, mais ne tira pas pour autant l'interpellé de sa rêverie. Il réfléchissait à chaque possibilité qui s'offrait à lui, à chaque opportunité. Qu'elle était la meilleure manière de faire souffrir un homme ? Kyo excellait à la connaissance de ce sujet et puisait dans ses ressources pour dresser un plan machiavélique, un plan qui verrait mourir l'humain au profit de la vengeance. Quelque part, l'assassin revivait la disparition d'un être cher. Qui savait ce que cet inconnu avait fait de Sheran ? Peut-être gisait-il déjà dans un fossé, le corps rongé par les ronces et une plaie béante au milieu de sa poitrine détruite ? Cette vision enragea encore davantage Kyo qui redoubla d'efforts. Cette soif de vengeance ne le mènerait à rien et, sitôt son désir assouvi, d'autres le remplaceraient. Autrement dit, un événement aussi insignifiant pourrait bien le voir sombrer une nouvelle fois dans les méandres de son propre esprit. Kyo était un funambule, en équilibre sur le fil de son existence, oscillant entre conscience et inconscience, folie et bon sens.
Une gifle s'abattit sur sa joue. Une claque sonore et douloureuse qui remit de l'ordre dans les idées de Kyo. La main palpant la chair meurtrie, l'homme lança une œillade ébahie à celle qui avait osé porter la main sur lui. Abby, furibonde, soutint son regard sans même sourciller.
— Qu'est-ce qui t'arrive, bon sang ? Reprends-toi !
— J'ai rien fait, protesta Kyo, d'une voix qui laissait pourtant suggérer l'inverse.
— Tu aurais vu la tête que tu faisais, tu avais presque la main quand tu as saigné ce soldat. Je veux pas d'un second massacre !
— Sheran a disparu, Abby, et c'est hors de question que ce Azirus s'en sorte comme ça. Je vais le tailler en pièces !
La surprise n'aura pas endormi ses scrupules bien longtemps et, de même, Abby vit sa colère se nuancer ou prendre pour cible un autre individu. Son frère avait disparu et il aurait été si aisé de paniquer, de laisser Kyo agir à sa place et de ne répondre d'aucune conséquence. Abby avait bien des défauts, mais la lâcheté n'en faisait pas partie. Elle savait que, bien au-delà de sa propre peine, de sa peur grouillante, abandonner son sang-froid revenait à compromettre leur situation, peut-être même à les mener à une mort certaine.
— Pas-de-sang-supplémentaire, martela-t-elle.
— C'est ton frère, rugit Kyo, inconscient du bruit qu'il émettait.
— C'est mon frère et on va le sauver, abruti !
Ah oui ? Et tu te figures que me regarder dans le blanc des yeux va suffire, peut-être ?
Abby venait de remporter cette joute verbale et le meurtrier baissa les armes plus facilement qu'il ne saurait se l'avouer. La respiration courte, les deux êtres s'observaient, inconscients de laisser s'égrener de précieuses secondes. Du bout des lèvres et avec un calme vibrant d'émotion, elle ajouta :
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Coeurs en cage [BxB]
ActionAu terme de longues semaines de détention à Madélor, la prison la plus sécurisée de Déalym, Kyo franchit le point de non-retour. Incapable d'accepter la perspective d'une existence en ces lieux et en dépit de tous les dangers, il met en œuvre l'éva...