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Un corps en traînant un autre derrière lui.

L'humain se rabaissait à aider son prochain dans un instant de pitié à la limite de l'ironie.

La forêt formait un abri protecteur sur le monde. Un toit sur sa cruauté qui se voyait détruite devant sa sagesse centenaire.

La végétation vivait sans prêter attention à ce sordide spectacle. Le vent s'engouffrait dans l'étreinte des feuilles et des branches, inondant l'air de cette odeur pure et organique.

La femme, une véritable guerrière, tirait sans faiblir son semblable inconscient. Elle supportait son poids sans protester, sans même songer à renoncer. Mètre à mètre, pas après pas, elle progressait dans ces sentiers qui étaient devenus son terrain de jeu.

L'homme blessé qu'elle transportait courageusement se mourrait et elle refusait qu'il expire ainsi, entre ses bras. Les suppliques résonnaient encore à ses oreilles et il n'était pas question de l'abandonner aux insectes et aux charognards. La femme n'envisageait pas une seconde d'avoir cette mort absurde sur sa conscience, de voir souiller son âme de la sorte.

Le prisonnier, puisqu'il s'agissait bel et bien d'un fugitif, fut saisi par un retour à la réalité terrifiant. Ses yeux s'entrouvrirent à peine et il distingua les arbres autour de lui, cette vaste étendue verdoyante déformée par les vapeurs de son esprit mal en point. Un bref éclat le tint éveillé un court instant, juste le temps de voir le décor se troubler, tanguer dangereusement sous ce mouvement perpétuel qui le tirait inlassablement.

La douleur revint à lui et s'imposa à cette vision étrange, lancinante et prête à lui faire perdre pied. Cette même souffrance vint à bout de ses pauvres résistances et il s'affaissa à nouveau complètement contre le corps robuste de cette aide inespérée. Anéanti par cette vague qui déferlait encore, il étouffa une plainte avant de lâcher prise.

Merci !

Il emporta avec lui cette dernière pensée tandis que la femme se promettait muettement de sauver cet homme, par tous les moyens. Cet homme dont elle ne savait rien et qui semblait avoir commis le pire. Cet homme qui luttait de toutes ses maigres forces contre les frasques perverses du sort. Cet homme qui représentait un espoir interdit que la plupart des humains taisaient pour ne pas y succomber. Cet homme qui croyait, qui s'accrochait à la vie et qui en espérait encore tant.

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Abby pénétra dans la modeste demeure, ce petit chalet familial qui inspirait immédiatement une ambiance chaleureuse, rassurante. Loin de s'attarder sur les détails de cette charmante bâtisse, elle traversa la pièce commune, traînant toujours Kyo à sa suite. Les derniers mètres lui paraissaient interminables tandis que ses muscles hurlaient leur mécontentement. Le bruit engendré alerta le second propriétaire des lieux dont le visage émergea de l'angle du couloir pour détailler avec suspicion le curieux tableau que l'autre lui offrait.

— Abby, qu'est-ce que c'est ?

— Désolée, pas le temps pour les explications. Je crois qu'il s'est pris une flèche dans l'épaule et il est inconscient depuis une demi-heure, il va pas tarder à y passer ! Faut que tu fasses quelque chose et vite, ou je vais avoir un cadavre à enterrer avant la fin de la journée.

Arquant un sourcil, le géant osa un pas dans la pièce pour examiner le contenu de la marchandise. Sa blondeur n'adoucissait pas ses traits fermés, insondables, et dévisagea un court instant son homologue ainsi que l'inconnu qui l'accompagnait. D'ordinaire bien plus réactif et rapide à la détente, il finit par se tirer de sa léthargie, et ordonna d'une voix formatée par une certaine habitude à l'urgence :

Coeurs en cage [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant