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Deux semaines avant le drame.


- Félicitations Maddison, c'est un très bel essai.

  Le Docteur Evans me jette un coup d'œil par dessus ses lunettes à écailles, puis se replonge dans mes écrits.

- Si j'étais votre enseignant, vous auriez un « A »

  Je pousse un soupir.

- Mon professeur de littérature ne lira jamais cette version, j'en ai écrit une autre pour le lycée.

  Ma psy lève la tête vers moi si vivement que ses cheveux gris coupés en carré se balancent d'avant en arrière. Ignorant son regard trop surpris,j'ajoute d'une voix que j'aimerais plus assurée.

- Je pense qu'il a bien d'autres choses à faire que de lire mes histoires de gamine paumée.

  Cette fois ci, c'est à elle de soupirer. Ce n'est pas de l'agacement, je le sais. Cette femme n'est jamais agacée ou ennuyée. Je pense qu'elle est surtout en train de réfléchir à une façon cohérente de me répondre.Puis elle se met à me fixer. Elle commence à me connaître et elle sait que si elle prononce un seul mot, je ne dirais jamais ce qui me pèse sur la poitrine. Mais contrairement à ce qu'elle peut croire quand elle me voit fondre en larmes sur son canapé, je suis terriblement dure et bornée. Alors pendant ce qui me semble être une éternité, nous restons silencieuses.

- N'avez vous pas la sensation de diminuer la portée de vos efforts, en vous empêchant de les montrer au monde ?

  Hum. J'admets, quand Mr West a demandé à ma classe de faire une rédaction sur le sujet « écris à l'enfant que tu étais il y a dix ans », je savais que ma thérapeute sauterait sur l'occasion de me faire parler en profondeur de la raison pour laquelle je viens la voir chaque jeudi depuis l'an passé. Et c'est ce que j'ai fait. J'ai écrit ce que je ressentais en me remémorant mes pires souvenirs. J'ai rédigé une lettre de sept pages à la petite fille de huit ans que j'ai laissé dans le passé. Mais dès le début, j'ai su que cet amas de lettres ne serait lu par personne d'autre que la femme aux cheveux gris en face de moi. Mon professeur, lui, allait corriger et mettre une note excellente à une fausse missive écrite pour une jeune Maddison tout aussi fictive, que j'aurais honnêtement pu écrire si ma vie était aussi parfaite que je le prétend en dehors de ce cabinet.

  Et merde.

- Pourquoi pleurez-vous ?

  Une grosse larme de crocodile coule sur ma joue. Je crois que c'est la frustration de savoir qu'elle a raison. Je hausse les épaules.

- Parce que cet essai me bouleverse, tout simplement.

  Et c'est à cinquante pour cent vrai.

-J'ai passé quinze heures à écrire et réécrire cette lettre, docteur. J'ai fait attention à chaque mot que j'utilisais pour raconter mon histoire,pour soulager mon esprit. Et je suis passablement déçue de voir que tout ce temps perdu n'a eu aucun effet.

-Ne soyez pas aussi pessimiste, car il y a une conséquence très positive à ce progrès que vous avez fait.

  Je fuis son regard et baisse le mien vers les lattes de faux parquet au sol.

- Vous allez vous en sortir, Maddison, vous avancez et vous allez vous en sortir.

Soixante NuitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant