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L'eau de mon bain est chaude, le savon fait des petites bulles douces. C'est agréable, mes côtes ne me font presque plus mal quand je m'allonge. Je fixe mon regard vers le plafond, et je laisse mes pensées divaguer. Le voyage est prévu pour la semaine prochaine. Adam passe beaucoup de temps avec moi depuis qu'il m'a surprise à pleurer sur le perron. Je crois qu'il a peur que je m'écroule à chaque instant. Moi aussi, j'ai peur qu'il ne s'écroule. La ville dans laquelle nous vivons est remplie de souvenirs avec Paul, il est partout avec nous. Et je vois le cœur de mon frère se briser à travers ses yeux lorsque nous l'évoquons. La sonnerie de mon téléphone vient troubler le fil de ma réflexion. Je m'assieds prudemment dans la baignoire et tend ma main vers l'appareil hurleur. Le nom d'Alie s'affiche sur l'écran. Je décroche.


- Allo ?

- Maddie ? J'ai une question.

Je laisse le silence lui répondre. Je sais qu'elle va poursuivre.

- Est-ce que tu crois en... Enfin, comment dire... Les fantômes ?

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale alors qu'elle jure au bout du fil.

- Non, pas les fantômes, à proprement parler. Mais plutôt, les signes de l'au-delà ?

Je tente tant bien que mal de rassembler mes esprits avant de balbutier maladroitement que je ne sais pas vraiment quoi en penser. Elle s'excuse de m'avoir dérangé. Alie ne s'excuse jamais de m'avoir dérangé. Et alors qu'elle commence à me souhaiter une belle journée, je la coupe.

- Alana, raconte moi.

- Tu es sûre ? Tu as un peu de temps devant toi ?

Je plonge ma main libre dans l'eau pour tester la température.

- Au moins trente minutes, le temps que mon bain refroidisse.

- D'accord. Alors. Comment expliquer... J'appelle son répondeur tous les soirs. Juste pour avoir l'occasion d'entendre sa voix.

Je sens ma gorge se serrer. Alana fait une pause dans son récit, comme si c'était la chose la plus difficile qu'elle n'ait eu à faire de toute sa vie.

- Et depuis les funérailles, je le fais dans mon jardin, pour éviter que mes parents ne me voient comme ça. Parce que je ne peux pas m'empêcher de pleurer, tu vois. Et il y a ce magnifique papillon de nuit rouge qui apparaît quand je compose le numéro. Il tourne autour de moi, et ça m'apaise, parce que j'ai la même sensation dans mon estomac que quand Paul était encore avec nous.

- C'est une belle histoire Alie, mais tu sais...

- Oui, je sais. Je sais qu'il est parti Maddison. Je le sais qu'il est mort. Je l'ai vu mourir sous mes yeux, moi. Mais ce putain de papillon vient me voir tous les soirs. Et il est rouge !

Elle s'arrête encore et je l'entend inspirer longuement. Je devine qu'elle a du mal à contrôler ses émotions.

- Il est rouge, comme la couleur préférée de Paul. Et ça me réconforte de penser que peut-être, il est encore un peu là,pour m'aider à sécher mes larmes.

Je l'entend hoqueter au bout du fil. Je ne pleure pas avec elle. Je me contente de l'écouter.

- Parce que tu ne comprends pas, toi, ce que c'est de se sentir seule. Tu as Adam toujours avec toi. Tu as Jacob et Elijah,et ta mère ! Moi je n'arrive même pas à montrer à mes parents combien je souffre !

Je me sens honteuse, tout à coup. Honteuse de ne pas voir clairement que je ne suis pas la seule à avoir mal.  

- Et toi, tu es éteinte depuis l'accident. Je sais qu'on doit partir pour se retrouver et pour se reconstruire mais comment je suis sensée faire quand j'ai l'impression d'avoir perdu ma meilleure amie aussi cette nuit là ?

Je n'ose pas répondre. Les mots ne sortent pas. Tout est douloureux. Je me dégoûte tant que je ressens un goût de bile sur le fond de ma langue.

- Maddison répond moi !

Le ton inquisiteur qu'elle m'adresse me fait sursauter.

- Pardonne moi Alie, je ne savais pas que tu ressentais ça.

- J'ai manqué de te perdre une fois et je refuse catégoriquement que ça se reproduise ! Maddie par pitié, reviens-moi...

Sa voix se brise, et je me brise avec. Les morceaux de mon cœur flottent dans l'eau tiède. Mon visage de cire fond sur l'émail immaculé de la baignoire. Les contours de la pièce se brouillent. Mes paupières se ferment. Je suis incapable écouter les sanglots de ma meilleure amie. Ils me blessent comme des poignards glissés entre mes côtes. Je ressens des brûlures sur ma peau.

- Alana. Je t'aime.

Je ne sais pas comment j'ai réussi à faire sortir ces mots de ma bouche.

- Je t'aime, et je ne partirais pas. Je ne te laisserais pas. C'est promis. Je suis là. Pour toujours.

- Ne mens pas.

- Je ne mens pas. Je te promet. Comme quand on était petites, promesse du petit doigt.

Je soulève mon petit doigt dans les airs, comme si elle pouvait l'attraper de l'autre côté de la ville.

- Je t'aime aussi Maddie...

Nous restons silencieuses un certain temps. Sans savoir quoi se dire. Puis nous finissons par nous saluer, et par raccrocher.

L'eau de mon bain est froide, et ma peau nue frissonne.Mais je reste là, sans bouger. J'essaie de comprendre les émotions qui m'ont traversées pendant cette conversation. La jalousie, que ce  papillon ait été voir Alie plutôt que moi. Puis la stupeur, et la honte. Et enfin la réalisation. Celle que ma meilleure amie avait besoin d'être entourée.


Non.


Qu'elle avait besoin de moi.


Alors je lui ai promis que je serais là.


Et je respecte toujours mes promesses. 

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 15, 2020 ⏰

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