3. L'étincelle de fougue des temps perdus - Souvenirs de Benjamin

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Posé sur les marches dans la cour, Aaron ne pouvait s'empêcher de grogner. S'il n'avait pas eu les snapchats ridicules et les grimaces débiles de Justin pour sourire un peu, sa mauvaise humeur caractéristique aurait presque été visible.

La perte de sa mère l'avait moralement affaibli, bien plus qu'il ne l'aurait imaginé. Cela ne l'aidait pas pour ses études. La préparation au concours de Sciences Po était plus exigeante qu'il ne l'avait imaginé et il avait la ferme impression de ne pas avancer... Sans être complètement las, il manquait tout de même cruellement d'énergie. Octobre venait de commencer. L'automne s'était accompagné d'un vent frais qui faisait voler les premières feuilles mortes. Ce vendredi était plutôt morne. Des flaques d'eau ici et là refusaient de sécher, par manque de soleil. Il ne pleuvait pas tout le temps, mais le ciel était plutôt gris. Les lycéens avaient laissé de côté les t-shirts à manches courtes pour ressortir les pulls et blousons. Tous ? Non, un irréductible élève de terminale S résistait encore et toujours à la logique. Grelotant dans le froid les épaules à l'air, Kilian ne voulait rien entendre. Il aimait trop son nouveau débardeur vert pour attendre le printemps avant de le mettre. Pourtant, Aaron le lui avait offert avant tout pour un usage domestique, parce qu'il trouvait sexy de voir à la maison les fermes bras dénudés de son amant. Pas pour que ce dernier fasse son minet devant Jarno.

Après leur petit accrochage, son blondinet l'avait mouché assez durement :

« Si t'es meilleurs que lui, écris-moi au moins une nouvelle ! Sinon, il gagne par forfait ! Et moi, j'suce pas les perdants ! Enfin si, sinon tu vas râler, mais on se comprend ! »

Ah ça, c'était une remarque cruelle. Le brunet n'avait pu se résoudre à se remettre à l'écriture. Il n'en avait pas eu la force. En fait, depuis le décès de sa mère, il n'avait pas rédigé la moindre ligne. Le vide dans son cœur l'avait vidé et affaibli. Même si les choses allaient mieux, c'était comme s'il n'avait pas réussi à se remettre en selle. Même faire l'amour ne le faisait plus vibrer comme avant, sans doute parce qu'il y mettait moins de passion et de force.

Sans doute Kilian avait-il raison de vouloir voir ailleurs et de tenter de nouvelles choses, comme essayer à plusieurs. Aaron ne pouvait le nier. Même s'il trouvait son mec assez lourd avec cette nouvelle lubie qui était sortie d'on ne savait où alors même que l'été précédent, il n'en avait pas vraiment envie. Mais ainsi fonctionnaient peut-être les couples au vingt-et-unième siècle. Libres, volages, inconsistants un peu fous, mais toujours passionnés.

Le meilleur exemple dans la cour restait encore Gabriel et Cléa. Ces deux-là brillaient comme le soleil et la lune, ne s'éclipsant que pour s'embrasser fougueusement en cachette dans une salle vide. Le tandem phare des littéraires faisait encore plus parler de lui que celui des scientifiques. Le brunet en était presque jaloux. Depuis qu'il sortait avec Kilian, il avait toujours été au centre de l'attention. Mais depuis septembre, il fallait bien avouer que les deux artistes menaient la dance de l'extravagance. Leur objectif principal était de foutre le plus le bordel possible pour le bac à la fin de l'année, pour partie en beauté. En attendant, ils testaient un certain nombre de folies. Un jour, ils venaient habillés l'un et l'autre exactement de la même manière, avec maquillage noir et lunette de soleil, se copiant dans tous leurs gestes. L'autre, ils faisaient un concours de roulage de pelle pendant la pause du midi, pour déterminer qui avait le plus de fougue. Un point pour une personne de l'autre sexe. Deux points pour une de son sexe. Trois points pour un frère. Plusieurs victimes avaient gueulé. Martin avait failli dégueuler et s'était même pris une gifle de la part de Yun-ah, qui l'accusait d'avoir aimé ça. Elle en était sûre et certaine qu'il avait apprécié, vu que même elle n'avait pas détesté le geste de Cléa ! Le « mais pupuce » que le rouquin sortit, les larmes aux yeux, lui causa une deuxième baffe. Yun-ah détestait qu'on l'appelle comme ça en public, au moins autant qu'elle l'aimait en privé, ce qui était peu dire. Le brunet lui-même, cible du châtain, avait dû lui coller un magistral coup de poings sur le nombril après qu'il se soit approché trop près de ses lèvres, afin d'avoir la paix. Plié en deux, l'artiste en avait hurlé de douleur, puis s'était rapidement remis en chasse d'une autre victime en sautillant. Normalement ça comptait. Cléo, lui, s'était même roulé en position latérale de sécurité au milieu de la cour après avoir été choppé trois fois par sa sœur afin qu'elle augmente son score.

Les chroniques mélancoliques d'une année de terminaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant