14 : Vivre pour de vrai

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(29.07) Déménagement :(:

JTAIME -ELO

...

-C'est bon, le camion est bouclé, déclara son père en débarquant dans la maison.

-Ah, c'est le moment ! dit sa mère en frappant dans ses mains.

Malgré le fait que tout le monde était en train de se lever de table dans un brouhaha teinté de nostalgie, Clare ne bougea pas. Elle resta sur sa chaise en bois, chaise sur laquelle elle avait toujours mangé -longtemps avec un coussin sous les fesses je vous l'accorde, mais tout de même-, depuis le jour où elle avait posé un pied dans cette maison à l'âge de quatre mois.

Autour d'elle, la maison était toujours la même. Malgré quelques éléments de décorations qui avaient été rajoutés au fil des années et un coup de peinture qui avait été fait il y a deux ans, dans l'ensemble elle n'avait pas bougé depuis qu'elle était petite. Il y avait toujours les photos de vacances dans le couloir, ses dessins mêlés à ceux de Tic dans le bureau de sa mère et sa chaise à roulettes-qui-roulent-trop dans sa chambre.

-Tu viens ? murmura Justin en se penchant vers elle.

-J'arrive.

Il hocha la tête et lui fit un bisou sur son épaule dénudée par sa robe bleue avant de se diriger vers la sortie avec les autres.

-Ça fait bizarre de se dire qu'on part de chez-soi ? demanda Elo une fois que tout le monde fut dehors.

-Carrément. C'est comme si j'allais devoir vivre quelque part qui n'était pas du tout ma maison.

-C'est exactement ce que tu vas faire, en fait.

-C'est vrai.

Elo esquissa un sourire triste puis s'approcha de Clare, qui venait enfin de se lever de sa chaise.

-Ça va être bizarre d'habiter dans cette ville alors que tu n'y seras plus, déclara la brune d'une voix tremblante.

-Dis-toi que c'est pire pour moi, murmura Clare, les yeux rivés sur le vieux carrelage. Je vais me retrouver dans une capitale bondée de monde, avec des pickpockets à chaque coin de rue et un appartement minuscule avec deux colocs.

-J'aurais tellement aimé qu'on vive ensemble, dit Elo. On se serait déracinées ensemble, ça aurait été moins pire.

'Moins pire'. Expression qu'Elo disait depuis qu'elle était petite, malgré le fait qu'elle sache pertinemment que ça ne se disait pas. Et pourtant, malgré le nombre de fois où on le lui avait répété, elle continuait de sortir cette expression, fidèle à elle-même. Clare eut un pincement au cœur en y pensant.

-Je t'aime ma couille, dit Clare, les yeux mouillés.

-Moi aussi ma gueule. Tu sais même pas à quel point.

Les deux filles s'étreignirent, la vue embuée. Clare posa son menton sur l'épaule de sa meilleure amie, qui gardait ses bras croisés dans le dos de la blonde dans une étreinte réconfortante. La blonde songea alors qu'Elo était comme un membre de sa famille, en réalité. Ce n'était pas une sœur, mais presque. C'était tout à la fois.

-Les filles, intervint la mère de Clare en toquant à la porte ouverte. On doit y aller si on veut avoir le temps d'installer les meubles avant qu'il fasse nuit.

Elo se détacha la première de Clare et n'eut même pas besoin de s'essuyer les yeux. Elo était forte, et ne pleurait jamais. Ce n'était pas aujourd'hui que ça allait commencer.

Les deux filles quittèrent l'enceinte apaisante de la maison et traversèrent l'allée avant de passer le portillon. En jetant un coup d'œil à la maison voisine, Clare aperçut Baptiste à la fenêtre. Ils échangèrent un coucou puis chacun vaqua à ses occupations, comme ils l'avaient toujours fait. Il y avait donc des choses qui ne changeraient jamais.

-Bon, lâcha Clare, la gorge serrée.

-Dis au revoir chérie, dit gentiment son père en lui frottant le dos avant de faire le tour pour se glisser au volant du camion.

Clare s'approcha de Justin, qui la regardait avec un air si triste qu'elle avait du mal à retenir ses larmes en le regardant. Ce mois de juillet à ses côtés avait été tellement génial qu'elle avait du mal à le laisser, lui aussi. Elle qui croyait qu'elle ne pourrait jamais aimer quelqu'un comme elle avait aimé Arthur, c'était chose faite. Mais elle ne le lui avait pas encore dit, désireuse de garder ses sentiments pour elle, comme un souvenir auquel se rattacher quand on se sent mal et qu'on garde précieusement pour le divulguer au moment propice.

-Je vais passer ma vie dans le métro pour venir à te voir à Paris, murmura-il dans ses cheveux alors qu'elle le serrait dans ses bras.

-Avec le sourire j'espère, plaisanta-elle pour détendre l'atmosphère.

-Ça dépend de l'accueil que j'aurais.

Elle sourit en se reculant, et ils échangèrent un regard empli des choses qu'ils ne pouvaient pas encore se dire avant de s'embrasser.

-Beuuurk, ss'est trop dégoûtant ! s'exclama Tic, assis au bord du coffre du camion, ses petites jambes pendant dans le vide.

Clare se détacha de son copain en rigolant et embrassa sa joue avant de se retourner de nouveau vers Elo, le cœur lourd.

-On se laisse pas tomber, hein ? chuchota Clare quand elles s'agrippèrent une fois de plus l'une à l'autre.

-T'es malade ou quoi ? Nous deux c'est jusqu'à la mort, répondit Elo. Et même après, s'il le faut.

Clare sourit, replaça une mèche des épais cheveux bruns de son amie derrière son oreille et se recula d'un pas, emplie de sentiments étranges qu'elle n'avait encore jamais ressenti avec une telle force. La nostalgie se mêlait avec les regrets, tandis que les bons souvenirs lui montaient violemment au cerveau.

Elle se rappelait des parties de frisbee avec Tac quand il n'était qu'un petit chiot, des allers-retours dans la rue pour apprendre à faire du vélo sans roulette, du camion de glace qui passe chaque mercredi en août, de la virée nocturne avec Baptiste un soir de réveillon alors qu'elle croyait avoir perdu Tic. Tout ça, c'était sa maison, c'était sa vie.

Désormais, elle allait devoir aller de l'avant. Et elle se sentait prête.

Elle monta dans le camion, le cœur complètement en vrac.

-Chewing-gum ? proposa son père entre deux notes -plutôt deux cris- des Pixies.

 -Tu sais quel goût.

Son père lui adressa un grand sourire et lui fourra une bande molle à la menthe entre les lèvres, ce qui fit rire la blonde. Elle mâcha son chewing-gum quelques instants, boucla sa ceinture et regarda par la fenêtre. Sa mère tentait de rester debout malgré Tic qui faisait de grands coucous dans ses bras, Justin lui adressait un sourire empreint d'une tristesse qu'il essayait de cacher et Elo pleurait, même si elle ne pleurait jamais d'habitude.

Clare sentit alors quelque chose la déranger dans sa poche. Elle fourra ses doigts fins à l'intérieur de la poche de sa robe, et y découvrit une feuille d'agenda déchirée pliée en quatre. Et à l'intérieur, un morceau d'âme qu'Elo lui avait sûrement glissé en lui faisant un câlin.

PS : Je veux pas te spoiler la fin de l'histoire de ta vie, mais tout va bien se passer pour toi.

La blonde sentit son cœur se gonfler d'émotion, et elle replia le papier avant de le remettre dans sa poche, presque comme si elle ne l'avait jamais lu. Pourtant, ces quelques mots resteraient gravés en elle à jamais.

Clare colla alors sa main contre la vitre, et se mit à sourire. Un immense sourire, qui leur traduisait tout l'amour qu'elle avait pour chacun d'eux. Putain, elle en avait vécu des trucs cette année.

Cette année, Clare avait vécu pour de vrai.

ClareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant