Chapitre 1

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La lune était encore haute quand je me réveillai en sursaut, couverte de sueur, le cœur battant à tout rompre. Ce n'était pas la première fois qu'un mauvais rêve venait troubler mon sommeil. Celui-ci venait seulement s'ajouter aux autres, aux nombreux rêves où se mêlaient déjà effluves de sang et fracas d'armes. Je soupirai et repris mon souffle. Immobile dans mon lit, j'écoutai un moment le bruit des quelques oiseaux nocturnes qui se postaient habituellement sur les branches des arbres entourant la cité. Ils avaient le don de m'apaiser. J'écartai d'un geste mes longues mèches brunes qui me collaient au visage, puis, calmée, décidai de me lever. Mon corps criait encore au supplice. Les courbatures d'hier étaient toujours là, fraiches et retentissantes de combats encore durement menés. La veille, nous avions répété de nombreuses techniques jusqu'à l'épuisement tandis que les entraîneuses nous sermonnaient, nous jugeaient, nous malmenaient jusqu'à ce que nos gestes soient précis, vifs et parfaitement exécutés.

C'est un fait, nous étions modelées et faites pour être de véritables dangers sur pattes. C'était notre destinée, nous répétait-on. Mais, l'excellence au combat avait un prix que je ne connaissais que trop bien : la souffrance.

En me levant, je grimaçai sous la douleur, sentant mes muscles tout engourdis. Ce n'était pas le moment de flancher. Pas aujourd'hui, me raisonnai-je. En ce dernier jour d'entraînement, les Amazones accomplies ne s'étaient pas privées de nous rendre nerveuses. Nous, jeunes filles de dix-sept ans, nous apprêtions à vivre une expérience inoubliable et tout le monde était bien conscient de l'enjeu à venir. La cité entière attendait avec impatience ce moment. Depuis quelques jours, quand nous sortions nous entraîner, nous ne pouvions marcher sans que des passantes nous interpellent, prient pour nous ou nous donnent une vive tape sur l'épaule d'un air enthousiaste. Tout le monde comptait sur nous. La survie de notre cité en dépendait. Ainsi que notre honneur.

Nous, Amazones, étions une communauté de femmes guerrières possédant force et agilité, qualités ayant forgé notre réputation. Ces mêmes qualités nous avaient permis un plus grand bien : notre indépendance vis-à-vis de l'homme. Enfin, c'était ce que nous apprenions à l'école. Au commencement, les hommes et les femmes ne formaient qu'un seul et même clan pionnier sur un nouveau territoire inconnu et plein de promesses. Une terre où tout restait à construire et à créer. Ces colons venaient s'installer sur cette terre vierge pour fonder un avenir et laisser derrière eux un passé tourmenté. Personne ne sut pourquoi nos ancêtres vinrent sur cette terre fonder une nouvelle cité. A croire que le passé finit par être bel et bien enterré quand personne n'est là pour le raconter ou le transmettre. Au sein de ce nouveau clan, les hommes et les femmes s'y côtoyaient et formaient même des couples soudés sensés porter le futur de la colonie. Cependant, si les hommes chassaient et profitaient de la liberté que leur conférait ce nouveau territoire, les femmes étaient cantonnées au foyer et restreintes à s'occuper des enfants. Selon les croyances de l'époque, l'homme était vu comme le soleil de la famille, devant guider et diriger d'une main de fer tandis que la femme était liée à la lune, figure discrète dans l'ombre du foyer. Les femmes devaient ainsi obéir à leurs maris. Elles subissaient des interdictions strictes comme celle de monter à cheval, au risque de mettre en péril une grossesse. Tout était fait selon les règles édictées par l'homme. Tout était fait selon son intérêt. Ainsi, pendant longtemps, les femmes furent asservies jusqu'à ce que, plusieurs générations plus tard, des femmes prirent les devants et eurent soif d'indépendance. La rébellion s'organisa. Une nuit, les femmes mariées tuèrent leurs maris. De peur que leurs fils les vengent en grandissant, elles se résignèrent à leur réserver le même sort. Ce soir-là, au nom de la liberté, les femmes payèrent le prix fort. Elles décidèrent de partir et de réécrire leurs lois et leur avenir sur une page à nouveau blanche. Alors, les femmes décidèrent de fuir avec leurs filles et s'accordèrent pour s'établir derrières les montagnes rocheuses, qui semblaient constituer un rempart idéal en cas de retour d'autres hommes. Elles s'installèrent dans la zone la plus au nord, traversant les montagnes, plongeant dans la forêt profonde. Arrivées là où la terre s'achevait de manière abrupte sous la forme d'une falaise creusée par l'océan, elles y fondèrent leur cité. Un lieu à l'allure imprenable, indomptable, à l'image des femmes qui s'y installaient. Elles fondèrent une cité où seules les femmes y étaient admises. Au fur et à mesure des années, la rumeur du massacre s'étendit jusqu'à la cité-mère et quelques femmes s'enfuirent de chez elles pour les rejoindre et ainsi être délivrées de leurs maris et des mœurs de la société. Mais un souci se posa bientôt à elles. Comment perpétuer la vie de la cité ? Comme perpétuer une lignée sans hommes ? Heureusement, la déesse entendit leurs prières. La même année, les femmes firent connaissance de nomades, inconnus jusque-là et qui traversaient leur territoire. Un accord fut créé et chacun y trouva son compte. Chaque année, le temps de leur passage dans la cité des femmes, les nomades s'engageaient à passer leurs nuits avec les amazones en âge d'enfanter en échange de traités de commerce avantageux ou de tributs. Ils s'engageaient de même à renoncer à leur droit de parenté sur les filles et devaient emmener les nouveau-nés mâles avec eux. Ainsi, l'infanticide commis aux origines de notre peuple ne devînt qu'un lointain souvenir.

Amazone tome 1 : l'ÉpreuveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant