J'allais régulièrement dans le parc ou j'avais cru rencontrer Azzam pour la première fois. Parce que je n'y connaissais personne et personne ne m'y connaissais. Et puis, j'ai remarqué que seuls les enfants me faisaient redevenir moi-même. Aucun enfant ne venait avec moi, mais le fait de les regarder, vivre, jouer, rire, ça me redonnait le sourire. Le seul moment où mon sourire était sincère. Je n'allais plus en cours préférant la mélodie du rire des enfants aux critiques et mesquineries des étudiants. Personne ne l'avait remarqué chez moi. A la fac, ils n'envoyaient pas de courrier. Une information de plus.
Je m'installais chaque jour sur un nouveau banc. Pourquoi ? Moi-même je ne le sais pas. Mais comme à mon habitude, je pensais. Ces derniers temps, en plus de penser à Azzam, qui, dans mon esprit n'existait pas réellement, je pensais à ce que j'avais dû endurer ces dernières années. « Elle fait semblant », « Elle est tout le temps triste, elle ne donne même pas envie de lui parler », « Je crois qu'elle est comme ça parce qu'elle s'est fait violer ou parce qu'elle a dû avorter » ... J'en avais entendu des choses à mon égard. Mais je n'avais jamais cherché à me justifier, à me défendre ou quoi que ce soit d'autre. Je n'étais pas faible mais on m'a toujours dit que c'est ceux qui se cherchaient constamment des excuses qui avaient tort : « Qui se justifie s'accuse ». Alors je ne disais rien. Je les laissais dans leur petit monde. Souvent, je me disais que s'ils parlaient de moi c'est parce que leur vie devait être très fade. Et malgré mon éternelle tristesse, je les plaignais. Je savais que j'étais malheureuse. Mais je les plaignais de leur ignorance. Ils ignoraient leur souffrance. En philosophie on disait « L'ignorant est celui qui ignore son ignorance ». Eux, c'était un peu la même chose mais avec leur mal-être. Ils se plaisaient à trouver pire qu'eux même pour ne pas se sentir seuls au fond du gouffre.
Je sais très bien que je n'étais pas la plus heureuse. Je ne montrais pas le contraire car j'en étais consciente. Certes, le monde entier m'avait tourné le dos. Certes, je me retrouvais seule dans le noir. Mais, moi au moins, j'étais consciente du mal dans lequel je vivais. Même si je ne faisais rien de particulier pour m'en sortir. Je me laissais vivre c'est vrai. Mais j'étais moi-même. Je ne cherchais pas pire que moi mais je ne me plaignais pas non plus. Je n'étais pas à plaindre. Souvent, je pensais aux pauvres, aux sans-abris, aux peuples du tiers monde... Face à eux, je menais la vie de château. Alors oui, je me laissais vivre, je me laissais submerger par mes émotions mais je ne me plaignais pas. J'avais suffisamment de force pour me battre face aux regards des gens, pour les supporter et même pour les défier. Mais je n'en avais pas assez pour me défier moi-même. Combien de fois j'avais vu de la pitié dans le regard des gens ? A chaque fois, je voulais leur dire « Viens on va discuter, tu vas me raconter ton histoire et moi la mienne. On verra lequel de nous deux craquera. Lequel de nous deux comprendra la souffrance de l'autre. Lequel de nous deux la supporterais... » Mais je n'ai jamais sauté le pas. Je n'ai jamais adressé la parole à ces gens-là. Je me contentais de soutenir leur regard fièrement. Comme si je voulais qu'ils lisent dans mes yeux « Oui, je souffre mais malgré tout je vis. Est-ce que tu saurais supporter ma vie comme je le fais ? »
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J'évitais de repenser à ma maladie. Mais ne pas y penser me précipitait dans la gueule du loup. Je prenais un risque énorme. Je vivais avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête et même si j'en avais conscience, je ne voulais rien laisser paraitre. Je faisais semblant que tout allait bien. Je continuais à m'esquinter au sport. Je continuais à diminuer mes portions de repas. Je mangeais de moins en moins. Je ne me reconnaissais plus. Mais m'étais-je déjà au moins connue ? J'avais tout au long de ma vie été un automate. Et ces dernières années n'avaient fait qu'empirer les choses. Ce n'était pas si grave. Je voulais m'en persuader. Je me cachais derrière de longs vêtements amples pour qu'on ne remarque pas ma fulgurante perte de poids. La technique fonctionnait plutôt bien.
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Quand le cœur est mis à prix...
RomanceLa vie devient difficile lorsqu'on perd quelqu'un pour qui on aurait donné sa vie. Ça l'est encore plus quand on apprend que la douleur psychologique déteint sur le physique... C'est ce qu'a cru vivre Zunaira. Fragilisée, elle a dû se battre pour s'...