_MINHO ;
Le destin peut se montrer si cruel. Et c'est hallucinant comment une personne peut influencer la vie d'une autre. Bien que je ne portais pas Hyunjin dans mon cœur, il ne méritait pas un tel sort. Sa mort a un impact si fort sur la santé mentale de Jisung, et ne présage rien de bon pour lui. Le pauvre est en état de choc, inconsolable. Il demeure silencieux, le regard perdu dans un vide épouvantable qui dévore son attention chaque seconde et l'emmène dans un autre monde. Sa main, que j'enlace fermement, n'a aucune pression sur la mienne. J'ai l'impression de tenir un mort sous mes doigts. Parfois, il se redresse brusquement, comme s'il venait de se réveiller de ses songes les plus enfouis dans son esprit. Puis, après s'être assuré qu'on n'est pas mort bouffés, il replonge dans un néant imperturbable et dévoreur de bon sens.
Nous marchons depuis si longtemps, je ne compte plus les heures. À présent, ce sont les rayons du soleil couchant qui éclairent nos pas et nous guident sur un chemin parsemé d'espoirs, le plus loin possible de cette verdure néfaste et dangereuse. Une branche trop longue ou une feuille trop imposante ; il suffit d'un rien pour engranger tant de choses. Je n'ai certainement pas oublié que nous sommes en présence d'une de ces bêtes qui ne cherchent qu'à nous déchiqueter comme elles l'ont fait pour notre défunt compagnon.
Je me remémore alors Jisung, courant désespérément vers les cris implorants, puis il s'évapore à travers les arbres, comme un fantôme. J'avais peur de l'avoir perdu, j'avais peur qu'il lui arrive malheur. Seul, le roux peut être la victime de tant de souffrances. Et j'étais là, impuissant et vulnérable, perdu au milieu de la forêt qui se refermait sur mes pas. J'étouffais, les yeux balayant les environs, je parvenais même à entendre les battements irréguliers de mon organe vital. La voix suppliante de Hyunjin qui se brisait dans le doux crépuscule m'intimait qu'un horrible spectacle se déroulait non loin de moi. Alors j'ai courus, espérant retrouver Jisung. Je ne pouvais pas l'abandonner, c'est inconcevable. Si je peux au moins sauver l'un des deux, je n'ai pas à réfléchir. Il signifie bien trop pour moi.
Ce que j'aurais aimé m'être trompé de sens.
À quelques arbres non loin, ce que je vis me laissa sans voix. J'en restais bouche-bée. Je ne pouvais détourner le regard, hypnotisé. J'étais putain d'hypnotisé.
À seulement quelques mètres de moi, le corps du pauvre brun gisait entre les dents acérées d'une de ces bêtes immondes. Elle le mastiquait, le mâchait, le croquait. Elle le mordait, le broyait, le déchiquetait. Elle le dévorait et se délectait de sa tendre chair. Hyunjin n'était qu'un vulgaire os à mâcher pour cette saleté.
Et j'étais pétrifié, les bras ballants, la bouche entrouverte par le choc. Ça ne me ressemblait pas, je n'étais pas moi-même. J'étais incapable d'analyser la situation. J'étais incapable de réfléchir convenablement. Je mis tellement de temps à comprendre ce qui se déroulait juste devant moi.
Hyunjin se faisait bouffer sous mes yeux.
Et je l'observais, se débattre, étouffant des cris de douleur, puis s'éteindre à petits feux. Comme le cycle d'une vie peut être fragile, lorsque l'on est confronté à de telles circonstances. Mais je n'ai rien fais pour le sauver. J'aurais pu le sauver. J'en étais capable. Pourtant, je n'ai rien fais. Ce que je peux me blâmer, pour ces horribles pensées impensable, qui pourtant ont survenuent comme des étoiles filantes dans mon esprit ; j'avais réussi à me convaincre de le laisser crever comme une merde. J'avais réussi à me convaincre qu'il méritait de crever dans la douleur et le supplice. S'il n'était plus là, Jisung pourrait finalement s'intéresser à moi et m'aimer.
Seulement, avec du recul, je me sens terriblement coupable de la mort de ce mioche. Ces putains de remords qui me dévorent chaque seconde, et j'ai mal. Pas autant que Hyunjin, mais j'ai mal. Je suis conscient de ma force, j'aurai pu l'aider. À présent, je me nourris de cette insupportable douleur, mon cœur se resserre si fort chaque seconde que s'en devient irrespirable. J'ai souhaité la mort d'un gamin innocent, et mon vœux s'est réalisé.