Bricoles et Confettis

JE SAIS TOUT DE TOI

[TW alcool, mysogynie]

« Ça gratte ! Ça gratte ! Ça gratte ! Je devrais vraiment prendre rendez-vous chez le gynéco ! »

« C'est vraiment un gros trou du fion le patron ! C'est décidé, demain je démissionne ! »

« Je suis claquée... Je devrais peut-être dormir plus et baiser moins... Ce soir j'en parle à Stefan.»

« Waaaaah ! Il est trop canon ! Et il me nargue en plus avec son petit cul rebondi ! J'y mettrais bien la main tiens ! »

Toutes ces pensées qui ne sont pas les siennes. Ces pensées non-dites que les autres laissent s'échapper sans y faire attention, qui s'élèvent dans l'air comme des ballons gonflés à l'hélium, et qui s'accrochent à elle sans qu'elle ne fasse quoi que ce soit. Certaines sont extrêmement intimes, d'autres mériteraient d'être dénoncées.

Mais elle n'y fait rien.

Depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvienne, elle a toujours entendu les pensées des autres. Elle a appris à filtrer ce brouhaha constant, à ne plus trop y faire attention... Ça lui a déjà posé problème, notamment dans ses relations amoureuses.

Mais parfois elle s'amuse aussi avec. Elle essaye de savoir de qui vient la voix qu'elle entend, et une fois elle est allée voir une femme qui avait une mycose vaginale, et sans dire un mot, lui a donné la carte de son gynécologue. Elle a dû se mordre la langue et les joues en même temps pour ne pas éclater de rire, vu la tête que la nana tirait !

Ce soir elle a envie de s'amuser. Elle se met sur son trente-et-un. Une jolie robe bleu roi, avec la peau à nu juste là où il faut. Des jolis petits talons, pas trop hauts pour ne pas avoir mal aux pieds à la fin de la soirée, mais juste assez pour mettre en valeur ses formes. Pas de maquillage, elle n'aime pas ça, et de toute façon elle n'en a pas. Une petite paire de boucles d'oreilles et le collier assorti. Des cheveux roux relâchés, formant des petites vagues dans son dos tel la mer un beau soir d'été.

Elle se sent bien, belle et forte.

Elle marche au hasard dans les rues de la ville. Elle marche toujours au hasard dans la rue quand elle cherche à s'amuser.

Elle tourne le coin d'un immeuble de la vieille ville, et voit un petit bar ouvert. Des gens sont dehors, c'est une magnifique soirée.

« Wah la bombe ! Je m'la ferais bien. Mais...! Elle est même pas rasée ! Y'a bien que les sales qui se rasent pas ! C'est dégueulasse ! En plus elle s'est pas maquillée ! C'est vraiment une truie ! »

Lasse, elle passe devant l'homme devant l'entrée du bar et pense le plus fort possible « Encore un idiot qui réfléchit avec le mauvais cerveau... ». Elle sait qu'elle ne risque pas d'être entendue. Ça fait bientôt trois décennies qu'elle cherche une raison derrière sa particularité, et trois décennies qu'elle sait qu'elle est seule.

Il y a du monde dans le bar, et elle doit se concentrer pour filtrer le bruit à l'intérieur et à l'extérieur de sa tête. Elle se faufile jusqu'au haut comptoir, grimpe sur le seul tabouret vide, commande une bière et pose l'argent qu'elle doit au barman sur la surface plane encore humide par le passage du chiffon du dit barman.

En attendant sa boisson, elle commence par jeter un œil sur les personnes dans la salle. « Des pensées amoureuses, personnelles, sales, comme d'habitude quoi... L'être humain ne change jamais... »

Elle continue à scanner la foule et leurs pensées, quand soudain elle bloque sur un homme. Pourquoi elle bloque elle ne sait pas. Il est saoul, le front posé sur sa chope de bière, elle même posée sur la table.