Déception

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Lorsqu'Ota quitta la patinoire, il paraissait en colère, mais d'une colère aussi froide que la glace sur laquelle je patinais sans conviction. Alors je mis mes écouteurs, branché sur une chaîne de radio locale. « IC3PEAK », pas vraiment dans l'ambiance patinage artistique mais il fallait que je me défoule. Perdre. Perdre contre ce binoclard. Perdre. Il m'avait demandé de perdre. Lui. Mon Ota m'avait demandé de perdre. Je sentais une immense déception monter en moi, une immense frustration également. Je paniquais à l'idée de l'avoir vexé, mais je refusais d'admettre, par orgueil, qu'il m'avait déçu.
Tandis que mes lames griffaient le sol au rythme de ma chanteuse préférée, les souvenirs d'Ota me revenaient en mémoire. Je me rappelais cette après-midi dans la cabine d'essayage, le soir où il m'avait porté, ce baiser à l'hôpital, qui m'avait échappé. Était-ce normal d'agir comme cela avec un ami ? Je n'avais jamais eu d'ami avant lui à vrai dire, que pouvais-je savoir de l'amitié ? Que pouvais-je savoir tout court, du haut de mes 16 ans ?
Alors que des larmes embuaient ma vue au fil des doutes qui envahissaient mon esprit, le sol se rapprochait et je ratai mon piqué.
Merde. Ça fait mal. Je tentai une arabesque. Ratée aussi.
J'étais à terre, et pour la première fois de ma vie je retirai mes patins, encore assis sur la glace. Viktor et Yuri était parti, j'étais seul, seul étalé au centre de cet immense patinoire. J'étais seul, comme je l'avais été toutes ces années. Sans mon grand-père...
Et il était malade, il n'en avait plus pour longtemps. J'avais toujours eu le don de tout gâcher, le patin était pour moi mon refuge, l'occasion, la seule que j'avais, de briller aux yeux du monde. Mais le monde n'en avait que pour Katsuki et Nikiforov. Le monde... j'en avais rien à faire du monde putain, tout ce que je voulais c'était briller dans son regard à lui.
Et il était parti. Sûrement tout aussi déçu de moi que je l'avais été de lui, et je n'avais jamais ressenti une aussi grande douleur, depuis le jour où j'avais appris pour mon grand-père. Il ne me restait plus que ces foutus patins. Les lames givrées luisaient, et la musique ne s'arrêtait pas. J'avais la tête qui tournait. Je voulais que tout s'arrête. Je tendis alors la main vers mon patin, et au moment où j'approchais enfin la lame tranchante et attirante, la porte s'ouvrit. Je pu juste apercevoir Ota, ses mèches brunes décoiffées. Il haletait, comme s'il avait couru un marathon, et ses joues roses me rappelait notre moment à nous, dans la cabine. Je souris, et fermait les yeux.
A mon réveil, j'étais allongé sur les genoux d'Otabek, ses mains sur mon visage pour me réchauffer. J'avais sa veste sur moi et je tremblais terriblement.
Il me remit une mèche derrière l'oreille, et me caressa la joue. Sa main descendit sur mon épaule, sur mes reins. Et avant même de réaliser quoique ce soit, il m'étreignait de toute sa force. Une main derrière ma tête, l'autre dans mon dos. J'étais bien comme ça, sur lui. Je me sentais en sécurité, mais je ne pouvais pas oublier ce que je m'apprêtais à faire, avant qu'il n'arrive.
Je le fixais, plongeant dans ses yeux d'Onyx, comme pour m'y noyer. Lorsqu'enfin je me décidais à parler, en soutenant son regard, je murmurai :
« Tu m'as sauvé la vie, Ota. »
L'incompréhension, l'illumination, la panique, le désespoir. Son visage d'habitude froid et inexpressif s'alluma de sentiments et émotions variés, qui se ponctuèrent par des larmes déchirant le rose de ses joues.
Ses lèvres tremblaient. Il avait compris, il avait tout compris.
Je ne voulais pas que mes bêtises l'atteignent, pourquoi s'occupait-il de moi de la sorte ?
Je sentis sa main se resserrer dans mes cheveux, tandis que l'autre passait sur mon dos, sous mon haut. Au contact de sa main je frissonnais.
Il regarda les lames sur mes patins, et la colère s'empara de son visage larmoyant. Il me déposa sur les gradins, et attrapa les patins.
« Quand tu trouveras enfin la paix sur terre, je te laisserai retrouver la glace. »
Simple, efficace, limpide : Otabek Altin.
Mais d'un geste impulsif il arracha avec une force herculéenne le métal du cuir et jeta la lame à l'autre bout du bâtiment.
J'étais contrarié de son geste. Non, j'étais hystérique à l'intérieur. J'avais envie de tout casser, de tout détruire, de le détruire comme il me détruisait à petit feu sans le savoir, sans le vouloir.
« Je sais, tu dois me détester Yuratchka. Déteste moi si tu le souhaites, car au moins je saurai que tu es vivant. »
Depuis quand parlait-il autant, aussi bien ? Depuis quand ce que disait quelqu'un me touchait autant ? Quelle était cette pression dans ma cage thoracique qui m'empêchait de respirer, quelle était cette boule dans ma gorge ?
Je n'y tenais plus. Je me levai et sautai sur mon ami.
Appuyé contre son torse, je sentais que tout était possible, il était plus fort qu'une drogue pour moi, plus fort que l'euphorie de la victoire.
Je pouvais renoncer à n'importe quel trophée pour lui, n'importe quelle victoire.
Je m'accrochai à son t shirt ; tenant à peine debout je parvins tout de même à prononcer d'une faible voix :
« Moi aussi, j'aimerai les voir heureux... »

LE REPOS APRÈS LA FINALE ! (OTAYURI) [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant