Au rendez-vous allemand
Paul Eluard
1944
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n'a pas compris
Qu'elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.
On nous raconte des bobards, on nous traîne entre optimisme et pessimisme.
La radio est pessimiste, elle s'évertue à diffuser de jolies musiquettes qui ne font qu'embrouiller mes nerfs, tant c'est ahurissant, tant c'est indécent.
Le journal du matin, lui, est optimiste.
Il fait lourd, il fait chaud, le temps est orageux.
En ville, c'est le calme avant la tempête.
On est nerveux, on écope de regards hostiles.
Les dimanches ne sont plus radieux. On espère une proposition de Hitler annonçant l'arrêt des hostilités. On écoute la radio, la guerre est déclarée.
À nouveau, l'optimisme, le pessimisme ; on n'échappe jamais à ces deux-là.
« C'est la guerre, c'est la guerre ! » hurle-t-on.
Les hommes sont mobilisés. C'est le départ de mon frère. Au revoir, Gaspard... Il dit qu'il va « buter du boche », et qu'ils vont « voir c'que c'est qu'la France ! »
Très vite, nous sommes sans nouvelle, et essuyons plusieurs alertes.
Des avions nous survolent. La RAF ou les Allemands ? On ne sait jamais à quoi s'en tenir, on ne nous dit rien ; nous vivons suspendus.
On renforce les caves pour parer à d'éventuels bombardements.
Les rues sont vides.
« C'est la guerre, c'est la guerre ! »
Pourtant, toujours rien.
Il pleut.
C'est une guerre virtuelle, déployant quantité de mots absurdes et de discours incohérents. On demeure dans l'hésitation. Ce n'est pas tant contre la guerre qu'on proteste, mais contre les restrictions alimentaires. On s'exerce à la défense passive. Il faut masquer les lumières, peindre les fenêtres en bleu pour ne pas risquer la coupure de courant. Le sucre est introuvable. Beaucoup de mécontentement. On nous tient dans l'ignorance. Quelques pertes allemandes, une petite misère venue nous rassurer.
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Liebchen
Historical FictionLauréat des WATTYS2020 dans la catégorie Fiction Historique // Colleville-sur-Orne, Calvados, 1940. « Exode sur les routes. Exercices de défense passive au gaz. Convois anglais de passage. Voix radiophoniques. Nuits de terreur. Hausse du prix de la...