Partie 2 : Chapitre 1

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Alignée près du mur de l'école, une file de poteaux retenait ceux qui s'en allaient mourir. Sur la place, la foule formait un arc de cercle, séparée de la potence par huit soldats qui attendaient l'ordre de tirer.

Depuis le café, j'observais l'Untersturmführer Diederich — il marchait d'un pas mesuré, étudiant les visages des condamnés tandis qu'il fumait. Il s'arrêta devant l'un d'eux, lui proposa une cigarette. Le garçon acquiesça, et Diederich alluma la cigarette entre ses lèvres. Un bruissement ébranla la masse.

— Eh bien ? dit-il. Fume.

Sans le quitter des yeux, le jeune homme tira une première fois sur la cigarette sans pouvoir s'aider de ses mains qui étaient attachées derrière lui. 

L'officier en uniforme noir s'adressa à la population : 

— Vous voyez ? L'Allemand partage. Votre pays... Mes cigarettes... : le partage.Il faut être bon pour ça, non ? Il faut être.., reconnaissant. Il sourit en observant la foule. Ces terroristes, reprit-il en désignant les prisonniers, ils n'ont pas été reconnaissants. Il s'arrêta devant le condamné à la cigarette. Comment t'appelles-tu ? 

— Frank, répondit le jeune homme. 

— Es-tu reconnaissant, Frank ?Les lèvres de Frank tremblèrent comme il acquiesça. 

— Frank, claironna Diederich, excuse-moi, mais je n'entends rien. 

— Je suis reconnaissant, Monsieur.Le SS hocha la tête, et l'autre se mit à sangloter, faisant tomber la cigarette. 

— Si je te laisse la vie sauve, demanda l'officier en écrasant la cigarette à peine consumée, travaillerais-tu pour nous ? 

Le jeune homme s'agita, le souffle court ; il répondit avec de grands yeux : 

— Oui..! Oui Monsieur ! 

Diederich l'étudia. 

— Frank, fit-il en haussant les épaules, tu es une honte pour ton pays. 

Il tira subitement, agitant la foule d'un cri.Immobile près du corps, il survola les badauds d'un regard qu'une joie perverse animait, enfin, ordonna qu'on fusillât les autres : 

— FEUER! 

Derrière le rideau, ma poitrine implosa au rythme des détonations. 


Les premiers jours, l'inquiétude m'offrit une forme d'agitation qui sut me maintenir éveillée jusque tard dans la nuit. Je lisais Goethe, mais cessais rapidement comme le magnifique Werther semblait me tendre la main depuis la tombe. 

Au fil des semaines, l'inquiétude se laissa drapée d'un demi-sommeil lorsque je compris que Hans ne reviendrait pas. Nous étions en février 1941, et les rues avaient été envahies par l'uniforme noir. Je tombai malade dans la foulée, gardais le lit comme ma mère s'évertuait à trouver un docteur. 

« Madame, je ne saurais dire... » l'entendis-je après qu'il eut quitté la chambre— « Elle semble souffrante, mais il n'y a rien. » 

Le pire était de ne pas savoir ce qui était advenu. Devoir vivre avec ce doute constant me dévorait, et parfois, lorsque j'apercevais un soldat de dos, ou bien de loin, suffisamment blond, il m'arrivait de croire que c'était Hans ; il m'arrivait de croire que je devenais folle. Je faisais régulièrement ces terribles cauchemars où son visage se mêlait à celui de l'officier Diederich. Il tuait avant de me gratifier d'un sourire moqueur ; un chien aboyait. Ce visage paraissait si réel, quand bien même futil le fruit fantasmatique de deux opposés. 

LiebchenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant