Partie 2 : Chapitre 2

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Le 4 mars 1941, une puissante détonation agita Colleville. Les Allemands se mirent en branle, courant de part et d'autre jusqu'à ce qu'apparaisse la colonne denfumée. Devant le bazar, le souffle fut si fort que son propriétaire, le vieux Ferdinand,gisait décapité près des restes du détonateur de mine.

Le Colonel Ludwig décréta qu'il s'agissait d'un acte terroriste et ordonna qu'on fasse fusiller cinq citoyens français. L'ancien maire, monsieur Roussel, assez proche du Colonel (c'est-à-dire qu'il collaborait), parvint à le faire changer d'avis, le persuadant que nous avions affaire à un incident fortuit.

En effet, il n'échappait à personne que Ferdinand Levesque était un féru collectionneur. Lorsqu'il ne travaillait pas au bazar, ce dernier passait son temps à se promener au bord de l'eau. Le soir, il se rendait sur la plage et ramassait des coquillages, des pierres, ainsi que des os de seiche. Il les peignait puis les assemblait avec de la corde, créant de petits bracelets qui plaisaient aux enfants et aux voyageurs. Mais cette nuit là, comme l'avança Roussel, Ferdinand Levesque avait dû trouver plus que des cailloux sur la plage où l'infanterie s'exerçait au tir de mortier.


Les Allemands entreprirent bientôt un immense système de fortifications côtières, ce qu'on appellerait plus tard le mur de l'Atlantique.

Plus d'une fois, j'allais vagabonder près des falaises en dépit de la récente ordonnance qui faisait de la plage une zone interdite. Je franchissais les dunes de sable à travers l'oyat, cet océan vaporeux qui semble si triste en hiver. L'été, cette plante illumine le littoral dans les reflets du soleil et s'agite comme des cheveux d'or.

C'est ainsi que je revis le sous-bois, ce sentier qui mène à la mer, et moi,perchée sur les épaules de Hans sous un plafond de genêts, entre les rameaux souples et jaunes qui peignaient mon visage tandis qu'il courait dans un tunnel de senteurs.

« Qu'est-ce que tu fais ? » s'écriait-il comme je me baissais afin d'éviter les branches, « WAS MACHST DU? ».

Je lui avais bandé les yeux et nous avais précipité dans le décor, puis nous avions ri, jusqu'à ce que l'ortie ne vienne nous brûler les mains.

Je laissai l'empreinte de notre passé se rejouer, et descendis le petit chemin jusqu'à la plage. Comme personne ne me suivait, j'entrai dans la maison.

La belle et grande villa, crève-cœur à l'abandon, semblait morte, libérée de nos cris. J'avais espéré, en me rendant là-bas, retrouver quelque chose de nous,quelque chose que j'avais perdu. Mais il n'y eut rien mis à part le vide et le silence.

Je nous vis, semblables à des fantômes parcourant les couloirs. Des images renaissaient à travers l'éclair d'une vision, ou dans le bref éclat d'un souvenir.

À l'étage, je passai les couloirs et ce ruissellement de lumière diffuse, une lumière grise et épaisse. Ma main couru sur les meubles saccagés, sur la poussière.Dans notre chambre, la fenêtre était ouverte ; quelqu'un avait fouillé la maison.

Durant un instant, mon regard se perdit sur la mer : je voyais Hans sur la terrasse circulaire, je le voyais sourire, marcher vers ce lit défait où le cadavre de l'amour attendait encore. Je regardai ces draps comme l'on regarde une tombe, en me recueillant, et sombrai sur le matelas comme des objets tintèrent à mes pieds.

Je me baissai et pris ce joli chandelier, un chandelier à sept branches qui gisait parmi les souvenirs des anciens propriétaires comme de vulgaires détritus.

Lorsque je compris ce que je tenais, je lâchai l'objet comme s'il s'était mis à me brûler les doigts. Je regardai la ménorah, horrifiée tandis que les murs devinrent mille regards et mille jugements. Nous nous étions aimés dans cette maison, dans cette maison où les siens étaient venus prendre la vie.

LiebchenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant