9.2 Liberté

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      Lysandre était toujours immobile, le dos collé au mur de pierre. Il avait l'impression de sentir un froid vicieux s'introduire sous ses vêtements, puis sous sa peau. L'air ambiant s'était chargé d'une odeur insoutenable de chair en décomposition. Les battements frénétiques de son cœur étaient devenus incontrôlables, ils s'intensifiaient à mesure que la chose approchait. Bien-sûr le fait d'être plongé dans une obscurité des plus opaque n'aidait pas. L'apprenti se demandait s' il n'aurait pas mieux fait de rester à la surface et d'affronter les soldats de Hell. Dans ces moments-là, il devenait aisé de comprendre pourquoi, depuis la nuit des temps, les hommes ont toujours ressenti une aversion particulière pour le royaume des ténèbres et ses mystères. Si au moins Lysandre possédait la nyctalopie des nekothropes, alors il aurait vu ce que la chatte qui l'accompagnait était en mesure de voir; à l'autre bout du couloir, en face d'eux, un vieil homme traînant péniblement sa carcasse à travers les dédales. Outre son odeur, son apparence inspira le dégoût et la peur au nekothrope ; l'homme, qui n'avait plus grand-chose en commun avec les hommes, était d'une blancheur maladive. Sa peau était presque translucide et laissait paraître un entrelacement de vaisseaux sanguin. On aurait dit une apparition, qui n'avait jamais connu la chaleur d'un foyer et la lumière d'un jour d'été.
 Des lambeaux de cette peau, beaucoup trop blanche, pendaient le long de membres beaucoup trop maigres. Il traînait derrière lui un grand sac de toile ensanglanté, où, à en juger par l'odeur,  il n'était pas difficile pour un chat de deviner que la créature devait amasser des cadavres de petits animaux. Certainement des rats. Mais ce qui stupéfia le plus le félin fut la troisième main qui semblait émerger de la base de sa nuque. Une main d'enfant qui devait appartenir à un jumeau parasite et qui de temps en temps, prenait vie pour frapper et griffer son hôte, comme si elle voulait s'en libérer. Une chose était sûr Lysandre et la nekothrope devaient tenter le tout pour le tout, c'est à dire prendre la fuite. Ils ne pouvaient pas rester là, la chose arriverait à leur niveau bien assez tôt. Le félin décida donc de reprendre forme humaine et de saisir la main de son jeune compagnon. 

-Je te conseille de courir. Murmura-t-elle. Invoque tes flammes, mais surtout ne te retourne pas. Je ne tenterais pas de te sauver, je te préviens c'est chacun pour soi. Je ne veux pas mourir ici.

 Lysandre était dubitatif, il sentait la terreur dans la voix de la jeune fille, et il avait compris qu'elle penserait à sa propre survie avant tout. Une certaine amertume enfla en lui, il la trouvait égoïste de penser ainsi à un moment pareil, alors que lui n'était même pas capable de voir ce qui le menaçait. Aussi pris d'un élan de courage, ou plutôt de désespoir, il resserra sa prise sur son sceptre de mage et une lumière éblouissante irradia les couloirs de pierre... La créature, comme frappée par cette luminosité soudaine émit un cri bestial en levant un bras, dans un réflexe de protection.

Pris d'horreur face à une telle vision, Ly émit à son tour une exclamation de surprise avant de se retourner, pour se rendre compte que la jeune fille qui l'avait guidé avait déjà disparu. 


                                                           ***

Pour ceux qui avaient la chance d'arriver plus bas, dans les souterrains de la citadelle de Tiredaile ( sans croiser quelconque nuisance sur leur chemin), découvraient les magnifiques grottes aux parois de calcaire que la terre cachait jalousement. Pour une fois, elles accueillaient des visiteurs ; Faylon et Aleksey qui avaient depuis longtemps abandonné leurs chamailleries et s'étaient résignés à ce que Corvidae ne les laissent pas sortir de sitôt. 
-Ces grottes donnent dans les montagnes de l'Est, celles qui se trouvent au-delà de la colline sainte. Nous fuirons par là. Avait déclaré le vieil Érudit. 

-Tu veux vraiment nous faire fuir en abandonnant notre famille et notre ville ? Pesta Faylon, alors qu'ils s'engageaient parmi les stalagmites et les colonnes de calcaire.

Corvidae s'apprêtait à répondre, quand il fut interrompu par un hurlement bestial qui résonna dans l'habitacle de la caverne. Ce cri n'avait rien d'humain. Les deux princes et l'Érudit s'étaient figés, écoutant attentivement les bruits ambiants. Aleksey porta instinctivement ses mains à ses hanches, avant de se rendre compte qu'il n'avait pas ses couteaux sur lui. 

La frontière des HellOù les histoires vivent. Découvrez maintenant