Le petit pêcheur, T1 [MxM]

2 - Passager clandestin

     Isaac était à bord du bateau depuis deux semaines. Il s'était habitué à la lassitude du métier, et il semblait s'être fait à ce que les autres marins parlent au moins trois fois par jour de la femme qui les attendait sur la terre ferme. Isaac, quant à lui, n'espérait qu'une chose ; que l'année prenne fin pour qu'il se sorte du gouffre dans lequel il s'était engagé. Ses week-ends, il les passait dans le minuscule appartement qu'il avait trouvé, pas loin du port. Il pouvait même voir un bout du Santa Monica lorsqu'il regardait par sa fenêtre.

     Ses traits étaient devenus légèrement plus creusés, et à sa grande surprise il commençait à avoir un début de barbe ; lui se croyant imberbe à vie, il fut un peu content de se trouver un air plus âgé et plus mature. Il s'était habitué au rythme, et le réveil lui semblait moins rude que lors des premiers jours. En revanche, il n'était pas très rapide. Il se retrouvait souvent seul la nuit à terminer son filet.

     Cette nuit-là ne fit pas exception, et alors qu'un pêcheur le salua avant de disparaitre à l'intérieur du bateau, il lui restait la moitié de son filet à trier. Il se remit au travail, en soufflant.

     La mer était bien silencieuse, et il n'entendait que le bruit de l'eau qui s'écrasait sur la coque du navire. Isaac termina son filet et remit tout en place. Il s'apprêtait à rentrer à l'intérieur quand il entendit un doux son mélodieux, grave et sensuel, arriver dans ses oreilles.

     Il se figea, alors qu'un frisson parcouru son corps. Il tendit ensuite l'oreille, pas très sûr de ce qu'il venait d'entendre. Mais il entendit à nouveau le son et il se retourna pour en chercher l'origine.

     Isaac arriva à la pointe du bateau. Il faisait nuit noire et seule la lune éclairait les environs, se reflétant sur l'eau par morceaux. Isaac tendit à nouveau l'oreille, mais il n'entendit rien. Il fronça les sourcils, désormais convaincu qu'il avait simplement entendu un écho lointain que la distance aurait déformé. Il retourna se coucher sans plus chercher à savoir d'où venait le son.

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     Isaac était enfin de service de nuit. Il avait attendu ça presque avec impatience ; le son qu'il avait entendu la nuit dernière ne cessait de lui tourner en tête. Comme à son habitude, il était le dernier sur le pont mais cette fois-ci, il lui restait bien plus de la moitié. Il avait trainé exprès pour prêter une oreille attentive aux bruits de la mer. Mais rien ne vint. Dépité, il termina son filet avant de se diriger vers la porte.

     C'est à ce moment qu'il entendit le son pour la seconde fois. Comme hypnotisé, il fit demi-tour sans réfléchir et il se jeta sur la rambarde du bateau, manquant de peu de passer par dessus-bord et il scruta les remous calmes de l'eau, éclairés par la lumière de la lune. Il ne distinguait pas grand chose, mais un remous plus fort que les autres attira son attention.

     C'était comme si un poisson très gros se rapprochait à vive allure de la coque du bateau. Puis la forme disparue sous l'eau et Isaac arqua ses sourcils d'incompréhension. Il tendit l'oreille et en entendant le son à nouveau, il se précipita de l'autre côté de la coque, comprenant que le mystérieux chanteur nocturne s'y trouvait.

« Il y a quelqu'un ? hurla-t-il dans le vide.

     Seul l'écho lui répondit.

— Non mais c'est pas possible de s'époumoner à une heure pareil, Isaac ! cria la voix de Fynn dans son dos.

     Isaac sursauta avant de se retourner.

— Quelqu'un est passé par dessus bord ou quoi ?!

— Je... Euh, non, mais j'ai cru entendre... Un... Non, mais j'ai du rêver, désolé...

— Va plutôt dormir gamin ! Et ne t'avise pas de crier comme ça une nouvelle fois sur mon bateau sauf si quelqu'un est en danger !

— Oui, pardon Fynn... Bonne nuit.

— Bonne nuit. »

     Isaac repartit penaud dans sa chambre.

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     De nouveau de service de nuit, Isaac retint la leçon. Il traina sur son filet, laissa les autres pêcheurs finir avant lui pour se retrouver seul sur le pont. Il tendit l'oreille et le chant sensuel et séducteur lui parvint à ses oreilles et résonner au plus profond de son être. Il frissonna.

     Isaac ne bougea plus, écouta le chant qui semblait se faire de plus en plus proche. Alors qu'il actionna la potence pour faire remonter le filet, le bruit mécanique couvrit le chant quelques instants. Le filet s'écrasa au sol avec cette odeur nauséabonde et Isaac retint un haut-le-cœur. Il ne s'était toujours pas fait à l'accumulation de senteurs chargée d'iode et de chair humide.

     Puis il se retint de crier. Dans le filet se trouvait quelque chose de beaucoup plus gros, beaucoup plus imposant par rapport aux poissons qu'il péchait, qui devait faire un peu plus de sa taille. La nuit était si noire qu'il ne pouvait rien affirmer de clair, mais il distinguait très nettement deux bras et deux jambes.

     Mais ces derniers n'avaient rien d'humains. Il plaça sa main devant sa bouche pour se retenir d'hurler quand la créature se releva. Il ne s'inquiéta que lorsqu'il vit ses deux yeux, jaunes et en amandes, briller dans la nuit. La chose poussa un son inhumain et rampa derrière un tas de caisse de stockage. Isaac dégluti avant de voir une trainée de sang qui suivait la créature. Il mit courageusement un pied devant l'autre avant de se pencher entre deux caisses. Les yeux jaunes étaient là. Isaac resta muet de stupeur. Il avança une main tremblante dans le noir. Un grognement se fit entendre et Isaac tomba fesses contre terre dans un sursaut. Il remarqua alors qu'une jambe de la créature était restée dans le lumière.

     Du sang en coulait et la plaie ouverte semblait être profonde. Mais la jambe en elle-même était couverte d'écailles bleutées. Ses pieds étaient pourvus de griffes et l'espace entre ses orteils était occupé par une membrane plus fine que sa peau, faisant office de palmes. Isaac trembla de peur quand il vit la créature se rapprocher, sortant peu à peu de l'ombre. Il recula au fur et à mesure qu'elle s'avançait vers lui, se mettant un peu plus dans la faible lumière de la nuit.

     Cette créature n'était pas humaine. Entièrement nue, son corps était recouvert d'écailles bleues, mais celle se situant sur son torse, son ventre et son entrejambe étaient d'un blanc nacré. Il n'avait pas de cheveux, mais ce qui semblait être ses oreilles ressemblaient à des membranes fines bleues foncées reliées entre elle par une pellicule presque transparente qui remontaient jusqu'à l'arrière de son crâne. Isaac distingua nettement des branchies dans son cou.

     Et quant à son visage... Ses yeux étaient d'un jaune d'or luminescent, et leurs pupilles étaient telles celles d'un reptile. Il semblait l'observer avec la plus grande curiosité. Le regard d'Isaac se tourna rapidement vers son nez, étrangement humain mais recouvert d'écailles lui aussi, avant de regarder ses lèvres, bleues foncées, fines et cachant des dents pointues comme celles des requins.

     Isaac se tira de sa contemplation lorsque la créature grogna. Isaac sursauta avant de voir la créature porter sa main à sa jambe blessée.

« Attend je vais t'aider, murmura Isaac.

     La créature se contenta de grogner lorsqu'Isaac se releva avant de l'attraper sous les bras pour l'aider à se relever. La créature se laissa faire et elle se contenta de pointer la mer de son doigt. Comprenant son intention, Isaac le traina comme il le put, glissant sur le sol humide et se rattrapant comme il le pouvait pour ne pas tomber. Ils arrivèrent à la rambarde et Isaac laissa la créature s'appuyer sur le rebord.

— Tu vas sauter ? demanda Isaac sans même savoir si la créature le comprenait. »

     Elle se contenta d'étirer les commissures de ses lèvres en un sourire terrifiant avant se laisser tomber par dessus bord. Isaac le regarda s'en aller rapidement, une nageoire dorsale dépassant de son dos.

     Il tomba à terre, le cœur battant à la chamade. Il tremblait d'émotion et son premier réflexe fut de se pincer pour savoir si ou non il était en train de rêver. Mais non, tout semblait bien vrai, s'il en croyait sa douleur et l'énorme trainée de sang qui se trouvait sur le pont.

     Comme un automate, Isaac se retourna et nettoya le pont comme il le put, tria son filet à la va-vite et il se rendit dans sa chambre. Il ôta ses vêtements qu'il laissa par terre et il se glissa dans ses draps sans mettre de pyjama.

     « Putain de merde. »