Source : La mer du bout du monde
Dire que le sultan Schahriar passa la journée dans un état de fébrile impatience serait un doux euphémisme. Il lui paraissait que le soir n'arriverait jamais assez vite et il fit de son mieux pour se concentrer sur ses affaires afin de ne pas trop penser à sa hâte d'aller rejoindre Sheherazade. C'était surprenant de constater à quel point ces nuits passées à l'écouter lui parler d'amants affrontant mille dangers et de grands rois lui avaient apaisé l'esprit. Sa peine et sa colère s'étaient atténuées, lui permettant de commencer à se reprendre, et il en était reconnaissant au courageux jeune homme qui avait bravé la mort pour lui offrir son aide et son amour.
Bien avant le crépuscule, n'y tenant plus, il congédia son entourage et gagna ses appartements pour y rejoindre Sheherazade. Ce dernier ne s'était pas vraiment attendu à ce que le sultan se montre aussi impatient mais il en était touché et il ne fit aucune difficulté à avancer leur souper afin de gagner au plus tôt leur chambre pour continuer les aventures de Sindbad le Marin.
- De toutes les histoires que je vous ai contées jusque-là, prévint Sheherazade, celle-ci est la plus triste. J'espère avoir assez de force pour vous la dire jusqu'au bout sans trop d'émotion, et je vous demande pardon par avance si je venais à m'interrompre brièvement pour me reprendre.
Schahriar lui répondit que cela ne le dérangeait pas et qu'il n'avait qu'à commencer. Il était averti de la tragédie à venir et n'était que plus impatient de la découvrir. Parce que lui aussi voulait savoir, tout comme le Voyageur suspendu aux lèvres du Marin qui le reçut ce matin-là encore.
- A l'aube de ce dernier récit, le Voyageur sentait son cœur se serrer, parce qu'il se savait sur le point d'avoir enfin le dernier mot de cette histoire et tous les éléments pour comprendre la lourde peine de son aimable hôte. Il avait presque peur, soudain, de savoir, mais il était temps à présent d'entendre le récit du septième et dernier voyage de Sindbad le Marin.
- Vois-tu, lui dit celui-ci, nous étions persuadé que notre histoire était sur le point de s'achever, mais pas de cette manière. Nous nous pensions sur le point de poser nos bagages, d'enfin nous installer dans un lieu où nous aurions eu notre place et où nous aurions pu être heureux. Contrairement à moi, Hindbad ne désirait pas revenir dans la ville où il avait grandi, et il partit donc en emportant avec lui la totalité de ce qu'il possédait. A bien y réfléchir, j'aurais dû lui dire que c'était une mauvaise idée, qu'il aurait dû se montrer plus prudent, mais nous avions une foi aveugle en notre bonne étoile et nous pensions que ce voyage ne ferait pas exception aux autres, qu'il nous verrait en ressortir plus riches et plus heureux que jamais. Nous nous trompions hélas très lourdement.
Pour quitter cette ville, nous eûmes le prétexte que le souverain nous envoyait à la cour du roi Serendib lui rendre l'hommage qui lui avait fait. C'était une bonne occasion de partir, et nous embarquâmes donc à bord d'un navire royal, richement affrété. Nous emportions avec nous la lettre que le roi avait écrite, ainsi que les magnifiques présents qu'il envoyait à son ami, en plus de toutes les richesses que possédait mon amant et celles que j'avais gardées par devers moi pour ce voyage.
Cette première partie de notre navigation fut très heureuse et n'augurait absolument pas de ce que nous endurâmes après notre départ de l'île de Serendib. Ce roi nous reçut avec toute l'amitié dont il nous avait témoigné lors de notre précédent passage dans son royaume, et se montra même attristé d'apprendre que nous ne comptions pas rester très longtemps à sa cour. Mais nous avions déjà tant tardé à gagner Marhabaan que nous ne voulions souffrir davantage de délai.
Le roi Serendib nous laissa donc partir, non sans nous avoir fait des présents considérables. Nous embarquâmes aussitôt, impatients de gagner les rivages de notre cher ami Mihrage, mais nous n'eûmes pas le bonheur d'y arriver comme nous l'espérions. A vrai dire, la faveur des dieux nous abandonna là, au beau milieu de l'océan, alors que jamais encore elle ne nous avait fait défaut. En effet, trois ou quatre jours après notre départ, nous fûmes attaqués par des pirates qui prirent notre bateau avec une facilité déconcertante. Il faut dire qu'il s'agissait d'un navire marchand, en rien équipé pour se défendre. Quelques membres de l'équipage voulurent se défendre, et parmi eux Hindbad et moi-même, mais cela ne nous coûta que malheur et douleur avant que nous ne soyons faits prisonniers.
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Contes des Mille et Une Nuits [BxB]
RomanceIMPORTANT : Il s'agit d'une RÉECRITURE d'une sélection des célèbres contes arabo-persans, dans laquelle Sheherazade est un HOMME. Je précise, parce que le résumé n'est peut-être pas assez clair, et j'en ai assez des commentaires outrés de personnes...