Le Quatrième Voyage de Sindbad le Marin

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Source : Dans la caverne des mourants

Le sultan Schahriar passa cette nouvelle journée comme il avait passé les cinq précédentes : dans l'impatience du moment où il regagnerait ses appartements pour retrouver Sheherazade et se laisser bercer par ses récits merveilleux. Son humeur s'en était trouvée considérablement améliorée, il n'avait pas oublié la douleur et la colère dues à la trahison de son épouse mais il commençait à réapprendre l'indulgence et une certaine forme d'affection. Certes, il comptait toujours faire exécuter Sheherazade, le fait qu'il soit un homme ne l'exemptant pas de la sentence à laquelle il s'était exposé, mais il n'était pas pressé de le faire. Le jeune homme avait piqué sa curiosité avec son courage, sa douceur et sa surprenante déclaration d'amour qu'il entreprenait d'étayer nuit après nuit avec ses récits.

Pris d'une soudaine inspiration et d'un mouvement de tendresse à l'égard de son époux inattendu, le sultan fit appeler son cuisinier en chef afin de lui donner des ordres précis.

- Mon épouse et moi prendrons notre souper dans le jardin aux oiseaux. Vous ferez servir quelque chose de léger et d'exotique, selon les directives de mon grand vizir.

- Il en sera fait selon le désir de Votre Majesté.

Le cuisinier s'en fut et Schahriar appela son grand vizir qui ne se tenait jamais très loin de lui. L'homme s'approcha, hésitant toujours entre la crainte d'apprendre qu'il allait devoir mettre à mort son enfant et l'espoir de découvrir que son souverain répondait à l'amour du jeune homme.

- Je viens de donner des ordres au cuisinier pour le souper. Vous connaissez mieux que moi les goûts de votre enfant, je voudrais que vous alliez donner quelques conseils en cuisine pour satisfaire son plaisir.

- Oui, Votre Majesté.

Avec un infime sourire, le sultan remarqua que son vizir s'était un peu détendu. Il comprenait ses craintes mais ne souhaitait pas le rassurer, pas alors qu'il allait lui ordonner de tuer son fils dans les prochains jours. Pas demain ni après-demain, mais peut-être la semaine suivante, ou celle d'encore après. Parce qu'il n'avait pas le choix, s'il voulait se préserver de la tromperie et de la trahison.

C'est le cœur serré par une drôle de sensation qu'il s'en alla retrouver Sheherazade à la fin du jour. Il trouva le jeune homme assis au bord d'un bassin, ses pieds nus plongés dans l'eau, son beau visage offert à la fraîcheur du soir. L'affection frappa Schahriar et se lova tout au fond de lui, sans prévenir. Soudain presque intimidé, il s'approcha, et recula presque, frappé par l'immense sourire de Sheherazade lorsqu'il releva la tête vers lui.

- Avez-vous passé une bonne journée ? s'enquit doucement le jeune conteur.

Charmé par ses yeux sombres, le sultan s'assit à ses côtés au bord du bassin et entreprit de lui raconter les affaires qu'il avait supervisées, comme il ne l'avait jamais fait avec son épouse. Les esclaves envoyés par le cuisinier l'interrompit lorsqu'ils installèrent le souper, mais Schahriar était tellement troublé qu'il ne s'en fâcha pas.

Durant le repas, Sheherazade le divertit en contant quelques anecdotes amusantes et de petites histoires qui lui étaient venues alors qu'il se reposait dans les jardins en regardant voler les oiseaux et chanter la fontaine. Enfin, l'heure vint de gagner leur couche et Schahriar tendit galamment sa main à son époux pour le mener jusqu'à cette chambre qui devenait la nef qui les menait à l'aventure.

- Je vais à présent vous raconter ce qu'il advint lors du quatrième voyage que fit Sindbad le Marin, déclara Sheherazade sitôt qu'il se fut installé. Le Voyageur le rejoignit au matin, vêtu des beaux habits que son hôte lui avait donnés, son turban toujours aussi élégamment enroulé autour de son visage. Sindbad le reçut à ses côtés avec une amitié intacte, heureux d'avoir sa compagnie, et le fit installer avec autant de confort que les jours précédents.

Contes des Mille et Une Nuits [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant