Source : Le vieillard de la mer et l'île aux singes
Le soir suivant, c'est avec une impatience encore augmentée que Schahriar rejoignit son charmant conteur pour entendre la suite des voyages de Sindbad le Marin. Au fil des jours, ces histoires avaient pris dans son cœur une importance exacerbée, remplaçant la peine et la colère qui avaient pris toute la place depuis la trahison de son épouse. Il lui semblait également que Sheherazade glissait dans ses histoires quelques conseils, destinés à faire de lui un meilleur homme, et Schahriar se surprenait parfois à vouloir devenir un souverain aussi juste que le roi Mihrage. Quelqu'un dont son conteur pourrait faire le récit, peut-être... Ce soir-là encore, fidèle à lui-même, Sheherazade l'accueillit avec humilité et douceur, prêt à continuer son histoire dès que son royal époux le lui demanderait.
- Comme les jours précédents, le Voyageur répondit à l'invitation de son hôte et se présenta à ses côtés sitôt vêtu des fastueux habits qui lui avaient été offerts. Un nouveau turban coloré encerclait son visage, dissimulant ses traits derrière un jeu d'ombre qui renforçait son côté étranger. Sindbad le fit asseoir à ses côtés, puis commença le récit du cinquième voyage qu'il avait fait avec son amant.
- Ce voyage, commença Sindbad, nous menait de Marhabaan à Albhar, à la terre où je suis né et où nous nous trouvons présentement. Nous avions décidé, après avoir longuement réfléchi, que je clôturerais mes affaires courantes et que je prendrais avec moi une partie de ma fortune, afin de ne pas tout perdre si nous venions à subir une nouvelle mésaventure comme celles dont nous étions coutumiers. Notre projet arrêté, nous quittâmes notre cher Mihrage à bord d'un navire chargé de nouvelles marchandises qu'il nous avait données, faisant de nous les capitaines et maîtres du bâtiment. Un bon vent nous emporta hors du port et nous mena à une île déserte d'où saillait l'arrondi blanc d'un œuf d'Oiseau-Roc. Ce dernier était plus gros encore que celui que nous avions vu au cours de notre deuxième voyage et renfermait un oisillon sur le point d'éclore, dont le bec commençait à percer la coquille.
A notre grande horreur, nous vîmes les marchands que nous avions embarqués à notre bord s'approcher de l'œuf avec des haches pour briser la coque et dépecer le malheureux animal. Nous tentâmes de les en dissuader à force de cris, mais personne ne nous écouta et le petit roc fut rôti par morceaux puis dévoré.
- Voilà bien quelque chose d'original, grinça Hindbad qui s'était assis près de moi loin de ces hommes. D'ordinaire, ce sont nos compagnons qui finissent rôtis à la broche.
Son trait d'humour noir eut au moins le mérite de me tirer un sourire et je passai mon bras autour de ses épaules pour le serrer contre moi. La rage nous faisait serrer les mâchoires, cependant nous ne pouvions plus rien faire pour l'oisillon massacré, si ce n'était nous abstenir de prendre part à ce festin barbare. Des clameurs nous alertèrent à nouveau et, en suivant du regard les bras tendus vers le ciel, nous vîmes ce que nous redoutions l'un comme l'autre.
- Des Oiseaux-Rocs, murmurai-je. Ils vont nous réduire en charpie lorsqu'ils découvriront leur œuf brisé et leur petit dévoré.
J'avais à peine terminé ma phrase que les cris perçants des gigantesques oiseaux nous atteignirent, précédant de peu leurs larges ombres. Hindbad se releva d'un bond et je l'imitai pour courir vers nos compagnons et leur hurler de regagner précipitamment le vaisseau avant qu'il ne soit trop tard. Ce fut la débandade, les hommes se mirent à courir dans tous les sens pour ramasser leurs affaires et remonter à bord de notre navire. Dans le même temps, les Oiseaux-Rocs avaient découvert l'état misérable de leur infortunée progéniture et ils poussaient de longues plaintes affreuses en repartant de l'île à tire-d'ailes.
- Ils ont eu peur ! s'écria un imbécile. Ils s'en vont !
- Croyez-vous vraiment que des animaux aussi gigantesques aient pu s'effrayer de créatures aussi minuscules que nous ? lui hurla Hindbad. Ils sont partis chercher de quoi nous détruire, nous devons partir avant qu'il ne soit trop tard.
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Contes des Mille et Une Nuits [BxB]
RomanceIMPORTANT : Il s'agit d'une RÉECRITURE d'une sélection des célèbres contes arabo-persans, dans laquelle Sheherazade est un HOMME. Je précise, parce que le résumé n'est peut-être pas assez clair, et j'en ai assez des commentaires outrés de personnes...