Un soupir secoua mes épaules. Je tripotai les branches qu'avait rassemblées Mato, avant de se barrer avec Saori. Elles étaient encore trop humides pour réussir à y bouter le feu. Je me relevai pour m'avancer à l'orée de la grotte. La pluie avait forci plus tôt, mais elle s'éclaircissait peu à peu. Les nuages tiraient à présent sur le blanc. La lumière qui baignait la forêt lui donnait un air fantomatique. Je plissai les paupières et fouillai les arbres du regard. Même si je voyais de manière beaucoup plus développée qu'avant ma transformation, je ne pouvais passer à travers les troncs et les feuillages.
Pas de signe des deux crétins. J'espérai vraiment qu'ils étaient en train de nous dénicher de quoi bouffer et qu'ils n'étaient pas en train de se bécoter dans un coin au lieu de chasser. La tension entre eux m'agaçait par moment et réveillait ma propre libido. Ma vie de changeforme avait accentué pas mal de choses, notamment mes envies plus... charnelles. Je serrai le poing et fis craquer mon index, tout en m'efforçant de penser à autre chose.
Si j'avais bien calculé ce que j'avais volé, nos réserves ne suffiraient jamais à nous nourrir tous pendant plusieurs jours. Surtout si nous restions coincés dans le coin. De toute manière, si on ne bougeait pas, les militaires nous retrouveraient.
Je passai les doigts dans mes cheveux. Ils avaient bien poussé, pendant ces quelques mois passés au labo de l'enfer. J'avais réussi à convaincre Rachel de les couper avant notre fuite, mais ça n'avait pas vraiment suffi. Elle avait deux mains gauches, la pauvre, et le résultat n'était pas fameux.
Je levai les yeux vers le ciel. Une envie lancinante me crevait le ventre. J'étais à deux doigts d'enlever mes fringues et de m'envoler, quand un gémissement étouffé me parvint.
Yuutô.
Le mignon petit frère de Saori s'agitait dans son sommeil. Un sourire fin étira mes lèvres. Si j'avais bien réussi à séduire Rachel, elle ne m'avait pas vraiment rassasié. Je m'approchai à pas de loup de Yuutô et contemplai son visage.
Il était sacrément mignon, les yeux fermés, mais ses iris transformés valaient aussi le coup, tout comme ses sourires discrets. Nous avions discuté plus d'une fois, pendant nos quatre mois en captivité. Nos débats « comics versus mangas » m'avaient beaucoup amusé. Il avait des opinions très tranchées, sous ses apparences sages. En fait, beaucoup de choses se passaient sous la surface chez lui. Je n'oubliais pas ses regards furtifs et son air effronté, quand je me changeais. Je ravalai mon sourire, lorsque je le vis frissonner. La température devait avoir quelque peu chuté. Les couvertures de survie risquaient de ne pas suffire.
Mes sourcils se haussèrent. Autant joindre l'utile à l'agréable. Après tout, j'avais bien le droit de me reposer un peu. Je ne m'endormirais pas totalement, je n'y arrivais plus depuis le début de mon incarcération. Ravalant ces pensées mélancoliques, je me glissai sous la couverture et me collai à Yuutô.
Il était plus petit que moi. Pas beaucoup, mais suffisamment pour qu'il s'imbrique de manière satisfaisante. J'avais pu admirer maintes fois ses muscles longs et déliés, pareils à ceux d'un coureur de fond. Les sentir contre moi me fit soupirer d'aise.
À mon étonnement, Yuutô rayonnait de chaleur. La fièvre peinait à descendre malgré le médicament que Saori lui avait fait gober plus tôt. Il remua contre moi, je glissai un bras sous sa tête et me collai à son dos. Hum, des fesses fermes, ça, c'était vraiment pas mal !
— Ian ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Sa voix rauque m'arracha un frisson. Je lui soufflai :
— Tu as froid, je viens te réchauffer.
Yuutô ricana tout bas.
— N'abuse pas de la situation, hein.
Mon cœur s'accéléra, et je lui murmurai :
— Dors, tu en as besoin.
Il se détendit contre moi, et je profitai pleinement de son contact. Son odeur de chat agressa un peu l'aigle en moi, qui glatit avec indignation. Je fronçai un sourcil pour repousser la sensation. Je ne laisserais pas mon animal me régenter, même s'il était sacrément pratique. Personne ne me dictait sa loi.
Peu à peu, je me laissai aller à rêvasser. J'aurais pu me casser dès que nous étions sortis du labo. Après tout, je savais voler, et l'aigle sous ma peau me tannait pour m'élancer vers le ciel. Il aspirait à la liberté, comme moi.
Pourtant, après ces mois enfermés avec eux, j'avais envie de rester dans le coin. Je les appréciais. Même Mato et son caractère de chiotte. Saori était sacrément marrante, on se comprenait sans parler, tous les deux. Et Yuutô... Eh bien, si j'en croyais les quelques regards que nous avions échangés en plus de nos discussions passionnantes, on risquait de passer un bon moment ensemble.
J'aurais tout le temps de me barrer si la situation ne s'améliorait pas ou si je m'ennuyais trop. L'ennui, mon ennemi de toujours. Il me poussait souvent à faire des trucs idiots, comme coucher avec la fille et le fils de celle que j'escroquais. Mon paternel avait dû se retourner dans sa tombe.
« On ne mélange pas plaisir et boulot, Ian. Jamais. »
Il me répétait ça à longueur de temps, alors qu'il n'appliquait que peu sa règle. « Fais ce que je dis, pas ce que je fais... » Que dirait-il, à présent ? Condamnation mise à part, il aurait été déconcerté par ma situation actuelle. Au moins une minute. Ensuite, il m'aurait parlé stratégie d'évitement, et tout le toutim. Bref, il se serait cassé aussitôt.
Je n'étais pas mon père et je comptais bien profiter un peu, avant de voler vers d'autres cieux.
La chaleur de Yuutô me quitta. J'émergeai, déboussolé. Je m'étais endormi ? Ça faisait tellement longtemps... Mon corps détendu protesta lorsque j'ouvris les yeux. Il faisait noir, pas suffisamment, néanmoins, pour que je n'arrive pas à me repérer. Les grognements de léopard me réveillèrent tout à fait.
Yuutô s'était transformé, et je ne l'avais même pas entendu ! Je sortis vite fait de la couverture de survie et grimaçai quand le froid m'agressa. Je tâtonnai jusqu'à mon compagnon d'infortune. Le jour n'était pas encore levé, mais la nuit semblait bien avancée. La lune illuminait le ciel, et je ne voyais pas trop mal. Je n'étais pas nyctalope, contrairement aux trois autres, cependant, une faible luminosité me suffisait. Le léopard se tenait à l'orée de la grotte. Sa queue contre lui, sa fourrure semblait plus ébouriffée. Il feulait tout bas, en regardant les buissons face à nous.
Je m'approchai calmement ; Yuutô grogna. Il me jeta un coup d'œil menaçant, les oreilles aplaties sur le crâne. Oh, il n'était pas content du tout. Le vieux chat de ma tante Marge tirait exactement cette tête, quand le chien de son voisin tentait de traverser sa pelouse. Mauvais signe.
Je le repoussai d'un coup de hanche, en tapotant son dos pour le rassurer. Il fallait que je voie ce qui le mettait dans un tel état.
Je contemplai les buissons, frissonnant dans l'humidité fraîche provenant de la forêt. Trois paires d'yeux luminescents me renvoyèrent mon regard, et un concert de grondements m'accueillit.
Qu'est-ce que c'était encore ?
Je reculai à petits pas face à nos visiteurs impromptus pour retourner vers les sacs. Je fouillai à l'aveuglette et en extirpai l'un de mes briquets. Saori avait pris le sac qui en contenait un autre, la maligne. Je retournai aux côtés de Yuutô. Sur la droite, le tas de petits bois et de feuilles ramené par Mato attendait sagement.
Sans me préoccuper des grognements de mon léopard préféré, je me concentrai pour tenter de nous allumer un feu. Pas moyen. Sans plus réfléchir, je déchirai un morceau de mon t-shirt beige que j'enroulai autour d'un morceau de bois. J'allumai mon briquet et tins la flamme proche de ma torche de fortune.
Heureusement, le tissu en coton s'enflamma vite et bien. La lumière arracha un hoquet à Yuutô qui trouva son écho dans nos visiteurs. Avec ce coup de pouce, je pus enfin apercevoir ceux qui nous faisaient face.
Des loupsnous guettaient, prêts à bondir.
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ParanormalQuand je me réveille dans un lieu inconnu, je m'estime chanceuse : me voilà sortie de cette fichue prison ! Je suis même avec mon frère, Yuutô, que je n'ai pas vu depuis deux ans. Malheureusement, cette joie est de courte durée, car on est loin d'êt...