Ian - 15

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Je me laissai enfin tomber au sol. Le soleil se couchait peu à peu, et nos dernières heures de marche pesaient sur mes jambes. Les pins obscurcissaient notre progression, et j'avais trébuché plus d'une fois sur leurs racines. Mes pieds brûlaient, j'avais terriblement envie de retirer chaussures et chaussettes pour plonger mes orteils dans le ruisseau que nous avions enfin rejoint. La terre au sol était gorgée d'eau, entravant notre fuite en avant.

Yuutô et Saori étaient partis chasser quelques minutes plus tôt, et Mato préparait le feu. Il paraissait sacrément plus doué que moi, le Winnie.

Son dos semblait toujours crispé. Pendant le reste de notre marche, nous n'avions que peu parlé, même si j'avais continué mes plaisanteries à deux balles pour garder une ambiance légère. Nous étions seuls, je me lançai :

— Pourquoi vous vous faisiez la gueule, avec Saori, quand je suis venu vous chercher ?

Mato me jeta un regard soupçonneux. J'avais capté qu'il ne me portait pas dans son cœur. Je n'arrivais pas à déterminer pourquoi.

— Je n'ai pas su réagir à ce qu'elle m'a dit. Elle a juste évoqué le meurtre de son père, sans les circonstances. Et... j'ai parfois du mal à comprendre mes réactions quand je suis près d'elle.

J'avais le souffle coupé. J'étais presque sûr que l'ours n'avait jamais parlé aussi longtemps depuis notre réveil dans la même cellule. Mon incrédulité dut se lire sur mon visage, car il gronda en fronçant les sourcils.

— Qu'est-ce qu'il y a encore ?

— Rien, rien... Je m'attendais à ce que tu m'envoies bouler, vu que tu me détestes.

Mato haussa les épaules.

— Je crois que je t'ai jugé un peu vite. Je suis lent à la détente, mais pas idiot, l'Irlandais.

Un sourire canaille étira mes lèvres.

— Oui, tu sais qui je suis depuis longtemps, hein ? Et tu as eu du mal à le digérer.

Winnie souffla avec agacement, avant de se pencher pour allumer des feuilles.

— Écoute, le piaf, je ne supporte pas les escrocs, et jusque-là, c'est cette facette de toi que tu m'as montrée. Pas de scrupules, tout pour ta gueule.

Il n'avait pas tort, j'étais souvent comme ça.

— Et tu as changé d'avis ?

Un crissement retentit, il actionna le briquet. Après avoir éventé les braises, le feu prit sur les petites branches devant lui.

Son regard d'ambre s'anima dans la lueur des flammes, quand il releva de nouveau la tête dans ma direction. Mon estomac se noua. Pourquoi avais-je soudain besoin de son approbation ? Je me tapais de son opinion depuis le début. Pourtant, mes entrailles se serraient à m'en faire presque mal.

Il s'était passé quelque chose entre nous, voici quelques heures. Les confessions de Yuutô et Saori nous avaient affectés et, pour la première fois, Mato et moi nous étions compris sans parler.

J'avais cette impression diffuse qu'après ces mois en cellule et notre fuite, nous étions finalement devenus un groupe. Une sorte de lien s'était formé entre nous quatre. Mon père serait furieux et me hurlerait de partir au plus vite. C'était quelqu'un qui détestait toute forme d'engagement. Enfin, sauf ceux qui lui rapportaient de l'argent.

La doctrine qu'il m'avait inculquée dès mon plus jeune âge ne m'avait pas mené bien loin, en fait. À force de trop m'isoler et de n'être tourné que vers moi-même, j'avais érigé le plaisir sur un piédestal... au prix de ma liberté.

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