Ian - 19

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Nous nous étions rempli la panse. Saori somnolait vaguement, Mato clignait des yeux et Yuutô bâillait. Je me sentais encore sur le qui-vive, mon aigle n'arrivait pas à se détendre totalement. Si la nuit n'était pas tombée, je serais allé faire un tour. Dommage. Je me levai et lançai :

— Je prends le premier quart. Explorons le reste de la baraque et installons-nous.

Les trois autres me suivirent sans mot dire. Le rez-de-chaussée comprenait un salon, une cuisine, un cellier, une salle d'eau avec des w.-c. et une petite chambre avec un lit double. Yuutô s'y jeta, accompagné de Saori.

Un escalier menait à l'étage. J'hésitai sur la première marche. Mato m'arrêta.

— Oublie le haut, je vais dormir sur le canapé, il est assez grand, je pense. On se relaiera. Réveille-moi quand tu n'en peux plus.

Nous retournâmes vers la pièce à vivre, et j'éteignis les lumières inutiles, ne conservant qu'un lampadaire allumé. Son éclat tamisé suffisait à ce que je me sente bien, sans gêner Mato dans son sommeil. L'ours se laissa choir sur le sofa, qui émit un soupir excédé sous son poids.

Un fauteuil à oreilles m'accueillit, et je me rencognai dans le siège avec un léger gémissement heureux. Les ronflements de Mato rythmaient mes pensées. J'avais encore du mal à digérer tout ce que nous avions vécu jusque-là. Et pourtant, ce n'était que le début de notre voyage. N'arrivant pas à tenir assis, je me levai et filai prendre une douche rapide dans la salle de bain du rez-de-chaussée. L'eau chaude glissa sur ma peau, et je soupirai de bonheur. Se laver au labo n'avait pas été une partie de plaisir, et le moment de la toilette en prison non plus. Ça faisait bien longtemps que je n'avais pas profité de cet instant. Je restai malgré tout sur mes gardes en tendant l'oreille. Rien d'anormal, selon moi.

Je sortis de sous l'eau à regret et m'essuyai avec une serviette dénichée dans une des armoires. J'avisai le miroir, le tirai et trouvai derrière un rasoir et divers médicaments. Je raflai les remèdes et me rasai rapidement. Mato n'avait presque pas de barbe, elle poussait lentement, Yuutô était imberbe, mais mes poils à moi s'en donnaient à cœur joie, et je n'aimais pas ressembler à un homme des bois.

Rafraîchi, je revins m'installer dans le fauteuil à oreilles et remarquai soudain un combiné téléphonique dans un coin du salon. L'heure sur la base m'arracha une grimace : 22h30. Je ne pouvais pas appeler New York maintenant, c'était trop tard. Il ne me répondrait jamais. Son éthique était claire : après une certaine heure, il n'était là pour personne. Sacré Jon.

Mon contact nous préparerait des papiers aux petits oignons. Jon connaissait aussi des passeurs, qui nous amèneraient le tout et nous feraient sûrement traverser la frontière, si Mato désirait encore retourner aux États-Unis. L'argent ? Les comptes de Ian Sweeney étaient bloqués, mais pas ceux de mes autres identités. La police n'avait rien trouvé. J'avais tout bien planqué, comme me l'avait appris mon paternel. Jon gérait mon portefeuille, moyennant un intérêt à mes investissements. Il me filerait une carte bancaire avec le reste des pièces d'identité dont nous avions grand besoin.

Malgré mes efforts pour ne pas m'endormir, les ronflements de Mato, l'eau chaude et le repas conséquent commençaient à avoir raison de moi, je m'assoupissais vaguement. Dans un sursaut, je tendis l'oreille. Je ne perçus rien de plus que les bruits émis par mes compagnons. La maison était bien isolée, on n'entendait même pas la musique de la bâtisse d'à côté. Pourtant, elle m'avait paru assez forte. Le fait qu'elle tourne, alors que personne ne semblait s'en occuper me fichait les jetons. Un malaise diffus restait accroché à mon humeur.

Je me rencognai dans mon fauteuil. Et si je piquais un bouquin sur l'étagère ? Un vieux policier me tendait les bras. Ça me distrairait encore deux heures, le temps de passer le relais à Mato.

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