Ian - 17

98 13 4
                                    


Le cœur au bord des lèvres, je croisai les bras devant moi en une vaine tentative pour me protéger, mais l'impact ne vint pas. Mes yeux se rouvrirent, je les avais fermés sous le choc, comme un crétin. Un léopard s'interposa entre mon agresseur et moi. Yuutô était venu à ma rescousse.

Je le laissai se battre avec le gros, tandis que Mato, ayant émergé du sommeil, repoussait les autres petits à force de grondements et coups de patte intimidants. Saori fabriquait une torche, je la rejoignis.

— Tu crois que le feu les éloignera ? m'étonnai-je.

— Il les distraira, au besoin. Toutefois, je pense que, comme les loups, ils ne comprendront que la force brute.

Elle n'avait pas tort. Je pesai le pour et le contre, avant de trancher.

— Change, je vais gérer le feu. Ma forme animale ne les impressionnera pas, mais la tienne ajoutée aux deux autres suffira.

Elle approuva et me tendit sa torche improvisée. En quelques fractions de seconde, elle se déshabilla et sa métamorphose dura à peine une minute. Nous nous améliorions chaque jour. J'avais l'impression que nous avions tous mieux apprivoisé nos moitiés animales en quelques jours à l'air libre qu'en plusieurs semaines au labo de l'enfer.

Au vu des bruits dans mon dos, ça dégénérait. Je grimaçai et me retournai avec mon flambeau pour embrasser la scène du regard.

Saori se débattait avec l'un des petits lynx, alors que Mato en gérait deux. Yuutô faisait ce qu'il pouvait face au gros et au quatrième, plus petit.

Mon pouls battait à mes tempes, je ravalai mon angoisse. Je me précipitai vers lui, flamme en avant. Le lynx le plus fluet recula avec un feulement apeuré. Je balayai l'espace devant moi et réussis à le repousser jusqu'aux fourrés.

Je continuai mes mouvements pour le pousser à se retrancher chaque fois qu'il prenait l'envie au félin de faire une incursion hors de sa cachette. Mon cœur battait toujours trop vite, j'avais du mal à me calmer. Je savais mon dos exposé, je ne pouvais compter que sur mes compagnons d'infortune pour me protéger des autres prédateurs.

Un hurlement de Mato m'arracha un frisson, et deux silhouettes rejoignirent mon propre adversaire. Je jetai un œil derrière moi. Les deux panthères avaient acculé leurs agresseurs, mais Yuutô paraissait en mauvaise posture. Mato s'interposa et se grandit avec un cri qui me tordit les entrailles. Les lynx semblèrent abandonner leur agressivité. La queue basse, ils couinèrent et détalèrent.

Mes jambes choisirent ce moment-là pour se dérober. Je m'étalai au sol. Ma respiration restait hachée, je m'étais rarement senti aussi impuissant de ma vie. L'aigle en moi protesta. Il avait l'air de dire que si je m'étais barré, ça l'aurait fait, et je serais en meilleure forme.

Je ricanai tout bas.

— Heureusement que Winnie était là ! soufflai-je.

Saori vint se poster à côté de moi. Elle était de nouveau humaine et habillée, tout comme les deux autres.

— Pourquoi nous attaquent-ils ? On est sur leur territoire ?

— Sûrement, approuva Yuutô. Moi, ce qui m'intrigue, c'est le gros que j'ai combattu.

— Il ne sentait pas pareil que les autres, marmonna Mato. Comme avec les loups.

Je me tournai d'un coup vers l'ours.

— Il était plus gros aussi, m'exclamai-je. Vous croyez que... ?

Yuutô grignotait son pouce, tandis que Saori se mordait les lèvres. La voix de Mato se fit plus basse lorsqu'il me répondit :

— Ils sont changeformes, comme nous. J'en suis presque sûr.

Est-ce que nous allions finir comme eux ? À l'état sauvage ? L'humain en moi se rebiffa aussitôt. Vivre dans la forêt et bouffer des rongeurs toute ma vie ? Impossible, j'aimais trop le chocolat pour ça.

Un silence lourd prit place entre nous, et je vis Saori et Yuutô se rapprocher l'un de l'autre. Ils se touchaient souvent lorsqu'ils étaient stressés. Un soupir m'échappa. Ouais, moi aussi, j'aurais bien eu besoin de relâcher la pression. Des révélations à gogo et une attaque de lynx. Quelle journée ! Le jour commençait à peine à se lever. Sans mot dire, nous nous installâmes pour avaler notre petit-déjeuner.

Il était plus que temps que nous rejoignions un semblant de civilisation.

J'avais l'impression de marcher depuis des jours. Mes pieds protestaient à chaque pas, et mes jambes se raidissaient peu à peu. Nous avions encore au moins une autre journée complète de randonnée, et je n'en pouvais déjà plus. Je tentai de penser à des sucreries pour me motiver, mais une énième crampe m'arracha une grimace.

— Les gars, on fait une pause ? proposai-je.

Saori secoua la tête à mes côtés.

— Il faut qu'on avance, je sens toujours les lynx aux alentours. On est sur leur territoire.

— Tu peux reconnaître leurs odeurs ? lui demanda Yuutô.

— Maintenant qu'on les a rencontrés, j'ai réussi à les mémoriser. Tu n'y arrives pas ?

Yuutô haussa les épaules devant nous.

— Je n'ai pas pris le temps de m'en imprégner, j'étais focalisé sur le combat. J'ai eu du mal à m'en dépêtrer.

Au moins, on est quasi sûr d'avoir semé les militaires, pour l'instant, s'exclama Saori. Vu la vitesse à laquelle on va et les bêtes qu'on a rencontrées, je doute qu'ils aient réussi à nous suivre.

J'étais d'accord avec elle. Mato coupa court à la conversation en s'arrêtant. Je faillis lui rentrer dedans, et je protestai à grands cris. Il m'ignora pour se tendre en levant le nez. Je vis ses narines s'ouvrir, alors qu'il inspirait un grand coup.

— Je sens quelque chose de bizarre... on dirait de la nourriture, de la viande grillée. Du pop-corn aussi.

Je ricanai.

— Je sais bien qu'il est presque l'heure du goûter, Winnie, mais tu prends tes rêves pour des réalités.

Il gronda tout bas, en plantant son regard animal dans le mien. Mon aigle glatit à ce défi.

— Écoute le piaf, j'ai un odorat encore plus performant que nos deux minous ici, alors, si je te dis que je sens quelque chose, tu peux me croire sur parole.

L'ours était de mauvais poil. J'avoue, j'avais tellement la dalle que j'espérais secrètement qu'il ait raison.

— On te suit, lâcha Saori, étouffant mes protestations dans l'œuf. Je n'arrive pas à le percevoir, mais je suis d'avis qu'on peut tenter.

— En avant, grommelai-je.

Pourvu que ça ne nous fasse pas un détour de plusieurs jours.

Il nous fallut quelques heures, sans que cela nous fasse trop dévier de notre route initiale. Après ce long moment de marche, l'odeur décrite par Mato me mit l'eau à la bouche. Je consultai ma carte ; aucun village n'était mentionné dans nos environs. Il n'y avait rien avant Cochrane. Un bruit caractéristique affola mon cœur. De la musique ! On entendait un morceau au loin.

— Tu es sûr qu'il n'y a rien d'indiqué ? s'étonna encore Saori.

Je restai muet et avançai, les autres à ma suite. La luminosité commençait à baisser, mais les abords d'un village se dessinèrent à travers les arbres. Nous voyions enfin le bout de notre périple dans la forêt.

Devant nous, des bâtiments gris en béton côtoyaient des routes. La civilisation était là, à portée de regard.


https://fr.ulule.com/escape-game-round-1/

Escape Game - Round 1 /Disponible en entier sur ma boutique ou sur AmazonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant