Le Temps Des Sortilèges - Tome 2 - Le Choix

XII

" Dame Bertha ! A boire !

- Oui, oui, calmez vos z'ardeurs, mon bon sir ! La bière n'va pas fondre en cours d'route! S'exclama la bonne femme en s'approchant avec un plateau de chopes dégoulinantes.

Guillaume ne releva pas le ton familier de l'aubergiste, la connaissant trop bien pour lui imposer le protocole qu'il ne chérissait pas particulièrement par ailleurs. Il semblait être un nouvel homme depuis qu'il occupait ses journées avec une ferveur peu commune. 

" Le service s'est un peu vidé d'puis qu'vous avez piquer ma p'tite nobliote, j'vous f'rais r'marquer! Bougonna-t-elle en déposant le breuvage fort sur la table de son seigneur. D'ailleurs comment va-t-elle c'te p'tiote? Elle est toujours aussi intrépide?

Guillaume dévisagea un instant l'aubergiste avant de se rappeler qu'effectivement, il n'avait pas voulu parler de la disparition de la demoiselle. Il avala une gorgée de bière et réfléchit pour peser ses mots. 

" A vrai dire...Ça fait un bon temps que nous ne nous sommes pas vu...Commença-t-il prudemment.

- Ah bon? Elle est r'partie dans son pays d'origine? 

- On peut dire ça, " grimaça le géant brun, peu à l'aise. 

Il ne pouvait décemment pas lui dire qu'elle habitait dans un univers parallèle au leur, sans qu'elle ne fut prise pour une sorcière ou lui pour un fou. Il préféra garder l'information secrète, en allant plutôt dans le sens de la bonne femme. Après tout, personne ne pourrait vérifier qu'elle était bien revenue dans le nord d'où elle disait être partie.

" Je me rappelle encore quand j'l'ai trouvée sur l'bord de la route celle là. Totalement nue d'ailleurs! J'me d'mandais bien c'qui lui était arrivée à c'te pauvre bougresse. Mais elle m'a touchée au coeur quand elle s'est réveillée ! Quelle princesse elle était ! J'espère bien qu'vous avez essayé tout vot' possible pour la convaincre de rester parmi nous !

- Oh, je l'ai fait...mais vous la connaissez. Elle est aussi impétueuse qu'un cheval sauvage quand elle s'y met". Sourit nostalgiquement le jeune homme avant de reprendre une gorgée de la liqueur ambrée.

Malgré tout, il ne désespérait pas de son retour. Peut-être lui avouerait-il pour de bon ce qu'il ressentait pour elle, après toutes ces épreuves. Il l'avait fait avant qu'elle ne parte, et elle avait accepté de le prendre en épousailles...mais rien n'était définitif, peut-être beaucoup de choses auraient changé pendant tout ce temps. 

" Mais...où l'aviez vous retrouvée? Tiqua-t-il finalement au bout d'un instant de réflexion. Dans la forêt ? 

- Oui da'! Vers la lisière de la clairière au sud-est, vers le village d'Ethrion. J'allais là-bas pour chercher de quoi nourrir mes p'tiotes, et j'suis tombée sur elle à mon r'tour!

Guillaume finit rapidement sa boisson. Il n'était jamais allé là où elle était apparue pour la première fois, enfin si lors d'inspections, mais du moins pas depuis qu'elle était arrivée, et l'envie de s'y rendre le démangeait. Il se leva et remercia la femme avant de quitter les lieux. Il pouvait bien s'absenter un peu de ses tâches administrative, Tristan était actuellement au château, il n'y avait donc pas de danger. Néanmoins, il devait se montrer prudent, notamment à cause des bassesses des péchés capitaux qui semblaient vouloir le fragiliser pour ensuite le vaincre. 

Il bondit sur Raven et élança l'étalon en direction du sud-est, pressé d'arriver à l'endroit indiqué par Bertha. Mais alors que le soleil terminait sa course céleste pour laisser place à la nuit, un détail étrange frappa le jeune homme. Non loin d'un rassemblement d'épais fourrés, le sol semblait avoir pris feu, mais sans qu'aucune flamme, fumée ou odeur âcre ne confirme la présence d'un sinistre. Non, il n'y avait là qu'une sorte de flamme orangée, immobile. Perplexe, il guida Raven jusqu'à l'endroit où le semblant de langue de feu paraissait venir. Une fois au plus près, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir non pas un début de brasier mais bien une chevelure dans laquelle l'astre diurne faisait jouer paresseusement ses derniers rayons. Cette amas de cheveux devait probablement appartenir à un corps dissimulé au cœur des buissons d'où elle se dégageait.