Chapitre 6 / Un prénom

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Je rentrais dans un métro vide où je m'étendis sur les sièges vides et crasseux. La ligne 5 amenait en bas des immeubles qui formaient ma résidence, dans le quartier de la Maladrerie. Notre bloc, celui des Aubépines, était le plus récent. J'avais toujours habité ici, je n'avais rien connu d'autre que ça. J'avais joué sur les balançoires rouillées, dans ce bac à sable plein de pisse, au milieu des mégots de joints, de seringue et capotes usagées.

Ici, tout le monde connaissait tout le monde. Je savais que les Taoufiq venaient d'être grands-parents pour la troisième fois, et leur cadette, Nadia venait de se marier. Tout se savait, et tout se disait aussi. Et c'était justement pour ça que je ne voulais plus être ici.

J'avais fait ma maternelle ici, dans l'école du quartier, puis ma primaire et mon collège. Je prenais les mêmes bus que les autres, nous mangions dans la même cantine. Rien n'échappait à personne ici. Si j'avais pendant un temps été épargné des « exploits » ignobles et barbares de mon frère, la vérité m'avait bien vite était imposée, au détour de conversations de palier, une des journaux et insultes qu'on m'avait parfois lancées. Depuis ce jour, on m'avait regardé avec pitié. Il avait fallu que je me batte, pour être un autre, pour que l'on me salue enfin poliment. On dédaignait ma mère, on crachait sur le nom d'Akim. Mais je n'étais pas dupe ; Akim n'était pas seul et avait laissé bien des fidèles derrière lui.

Le 04 avril 2006, Akim et onze autres personnes ont été arrêtées. L'histoire aurait pu être vite réglée, des condamnations pour l'exemple, et tout était fini. Ce ne fut pas le cas pour Akim, il fut désigné comme chef du "gang" et prit bien plus que les autres. A l'interpellation du mois d'avril, s'ajoutèrent d'autres faits qui ne firent qu'alourdir la peine première.

Le procès ne fut ni rapide ni simple. Le dossier semblait ne pas avoir de fin, pas de limites, s'alourdissant de jours en jours. L'avocat commis d'office passait bien du temps à la maison, expliquant en long en large et en travers à maman que la culpabilité et la condamnation d'Akim n'avait pas vraiment de chance de changer. Elle y mit pourtant du sien, maman, tard le soir, pour essayer de faire en sortes de changer les choses, pour rendre l'avocat plus motivé, plus persuasif aussi. Mais rien ne pouvait y faire ; les agents de police ayant procédé à l'arrestation et toute la ville était bien trop satisfaite d'avoir mis la main sur celui qui avait osé commettre un acte aussi atroce. Les pancartes au nom de Jordan David fleurirent devant le tribunal et dans la cité, sur le bord du trottoir où tout s'était passé. On vit partout la photo du jeune homme, on entendit partout ses parents qui pleuraient, gémissaient et s'en remettaient au ciel. Et Akim était bien trop fière pour plaider en sa propre faveur.

Je ne fus jamais plus heureux de ne pas porter le nom de mon frère.

Je me réveillais en réalisant que je n'avais retiré qu'une chaussure avant de m'effondrer sur mon matelas. J'avais la tête en vrac, la gorge sèche et une sacrée gaule. Pas besoin de m'en souvenir pour savoir ce dont j'avais rêvé. Toute la soirée me semblait irréelle, je n'avais pas pu suivre un inconnu terrifiant, me faire surprendre par Antoine avant de tranquillement rentrer chez moi. J'enrageais sur mon lit, ce que je pouvais être stupide !

Je souhaitais que ne soit que mon imagination, mais sur ma veste, c''était son odeur, sur mon sexe dressé, c'était sa poigne forte que j'imaginais, et dans ma bouche, son nom.

Même ma douche froide ne m'apaisa pas. Je restais lent, pas complétement maître de moi. Je me fixais dans le miroir, accusateur, sans réussir à dompter le chaos de mes cheveux.

« Mon cœur tu as bientôt fini ? Je dois me préparer. Je vais trouver du travail. »

Elle tapa deux coups à la porte de la salle de bains que j'avais verrouillée. Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un gloussement. Je rangeais mes serviettes avant d'ouvrir sur ma mère, l'air qui se voulait sérieux.

Poupées Russes [BxB]  AUTO-EDITEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant