Chapitre 5 / Un réverbère

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Quelque part dans les rues

00h26


L'alcool est un fantastique moyen d'oublier, mais l'alcool redescend vite. J'avais froid, c'était désagréable et ça me faisait cuver. Antoine marchait à côté de moi, sans avoir toujours décroché un seul mot. J'avais la langue lourde, la bouche pâteuse et mes jambes qui avaient du mal à avancer. J'étais tiraillé entre l'envie qu'il parle ou ce soit moi qui dise les premiers mots. Sauf que j'avais peur de ce qu'il pourrait me lancer, me reprocher, mais je ne savais pas non plus quoi lui dire et par où commencer. Je voulais seulement crever l'abcès qui était en train de se former entre nous.

Je trébuchais sur le trottoir, me rattrapa de justesse à un réverbère qui était en train de geler au milieu de la nuit. Je soufflais, je me sentais mal, la bile au bord des lèvres.

Antoine s'arrêta à moins d'un mètre de moi, constata mon état en soupirant. Je savais qu'il était énervé, je le sentais, je le voyais. Il serrait ses poings, le visage crispé. Moi j'avais besoin de me reposer.

« Ça a été avec la brune ? Lançais soudain. »

Je l'entendis ronchonner sans vraiment répondre, je n'insistais pas. Il tournait en rond, autour de moi et du réverbère. Je ne sentais plus mes mains, ni mes pieds.

« Pourquoi... »

Je relevais la tête vers lui, il réfléchissait.

« Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?

- Pas dis quoi ? »

Je faisais tout mon possible pour me concentrer et essayer d'être lucide.

« Tu te fous de ma gueule là ?

- Non. Pas dit quoi ? Que je partais avec lui ou que je baise avec des mecs ? »

Il grogna, les mains qui trifouillaient dans ses poches, il en sortit ses clopes. Il en alluma une, on s'entoura d'un nuage de fumée, celle du tabac, celle du froid.

« Me l'avoir juste dit ! »

Je soupirais, inspirais. En me redressant, je l'attrapais par ses épaules en restant adossé au lampadaire.

« Quand ? Comment ? Hein ! Je ne veux pas te dire la date de mon anniversaire, truc tellement anodin. Tu connais mon deuxième prénom ? Le nom de ma mère ? Tu as appris hier l'existence de mon frère dont je refuse de te dire quoi que ce soit. A quel moment, et dans quelle circonstance, j'allais te parler de là où je fourre ma queue ? »

Il me secoua, sans vraiment de force. Lui aussi avait bu, submergé soudain par des émotions qu'il en pouvait contrôler.

« Je te dis tout ou presque, moi.

- Parce que tu n'as rien à cacher. Tu es doux, pur, tu es un agneau. Non, mieux, tu es un chaton.

- Et donc tu ne me fais pas confiance ? Parce qu'on ne vient pas « du même monde ». »

Je ricane amèrement. Cette phrase, il la connait, je la lui ai bien trop répétée. Mais non pas sans raison, il refuse de le comprendre.

« Ne prends pas ce ton là, putain. Je ne suis pas en train de me donner un genre, tu le sais, non, on ne vient pas du même monde ! Et moi-même je ne veux pas en faire partie, de « mon monde ». Tu ne comprends pas ce que je fuis. »

Ma voix s'étrangla, dérapa. J'allais vomir ; une main sur l'estomac, je tentais de me contrôler.

« Pourquoi je ne te l'ai pas dit ? Parce que mon cul ne regarde que moi. Parce que, dans « mon monde », ce que j'en fais de mon cul, dans mon cas, c'est pas accepté. Je sais pas si t'as bien vu mon quartier, mais c'est pas super gay friendly. Et ma famille n'est pas friendly du tout. Pourquoi je ne te l'ai pas dit ? Mais parce que je ne l'ai dit à personne. Tu doutes de mon amitié ? De ma sincérité ? Rassure-toi, actuellement, tu es la personne qui me connaît le mieux. Et si tu trouves ça triste, eh bah voilà, ça représente bien ma vie. »

Il ne dit rien, se contenta de me regarder. Et on était là, comme deux cons, à se faire face.

« Désolé de vous avoir interrompu.

- Je finirai tout seul, ricanais-je.

- Tu le connaissais ?

- Non, je ne le connais toujours pas.

- Pourquoi lui alors ?

- Pourquoi pas. »

On se remit à marcher, lui me soutenait comme il pouvait pour que je ne m'endorme pas complètement debout.

« Ça ne change rien pour moi, tu sais. Je me sens juste vexé que tu me l'ais caché. »

Je ne répondis rien, c'était inutile.

J'accompagnais Antoine jusque devant chez lui. La lumière du porche était restée allumée, sans doute laissée par sa mère. Il insista pour faire l'inverse, pour être sûr que je rentre bien, mais je déclinais. 

Poupées Russes [BxB]  AUTO-EDITEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant