Jeudi soir ; 17h03
Quartier de la maladrerie
La surprise fut amère et douloureusement pas à mon goût. J'avais rarement mis autant de temps à remonter la cage d'escalier après m'être assuré qu'Antoine était bien reparti en sens inverse. Les escaliers ici puaient l'urine, la gerbe, la weed et la bouffe. L'odeur me retournait l'estomac. Mais la porte arriva ; numéro 248. Il y avait de la musique, des éclats de voix et mon cœur qui devint inquiétant à battre si fort.
J'avais peur; peur de mon frère et de ce que son retour signifiait. Une vie que je ne connaissais pas, ne connaissais plus, avec un frère que je refusais de voir depuis presque quinze ans. Alors mes clefs dans la main, planté devant cette foutue porte, je finis par l'ouvrir, persuadé que je n'aurais qu'à jouer l'indifférence, comme je le faisais depuis tant d'années. J'ignorais déjà ma mère depuis plus de dix ans, après trop d'années à y croire, en elle et ses promesses, en ses yeux larmoyant, sa voix émue et ses mains tremblantes quand elle me disait qu'elle va changer, trouver un travail.
Soudain, deux mains sur mes yeux, le parfum entêtant de ma mère, celui des grands jours qui donnait mal au crâne. C'était l'odeur âcre du tabac, et pas que.
« Devine ! Devine chéri ma surprise ! »
Sa voix aiguë qui me glaçait toujours, qui faisait monter en moi une rage sourde.
« Je vous ai vu d'en bas. »
Elle retira ses mains, je la découvrais dans sa robe des grandes occasions, usée et décousue, trop grande pour elle, parce que c'était celle de la voisine, une moue déçue sur les lèvres. Puis ce furent deux bras qui me plaquèrent contre le mur de la cuisine, un rire gras qui me figea sur place.
« C'est mon petit frère ça ?! Il est où le petit Myron de cinq ans ! »
Le visage qui me fixait était méchant, tout en angles et en os, deux yeux sombres de prédateur je n'avais pas envie de le voir, je le hais. Je le hais d'être lui, d'être là, de faire comme si de rien n'était. Je hais ma mère de vider une bouteille de vodka dans des verres de cantine, sa clope qui menace de tomber de sa bouche, la radio allumée.
« Non, ce n'est pas moi. Ton petit frère il est mort avec Jordan David. »
Je le repoussais d'un coup d'épaule pour pouvoir atteindre ma chambre. Je claquais la porte, la verrouillais, balançant mon sac sur mon lit, dans un geste rageur, soulevant mes oreillers sous l'impact.
J'aurais aimé que ce soit une mauvaise blague, un rêve, un acteur qui aurait pris la place de mon prétendu frère. J'aimerais que ce ne soit pas ma mère que j'entendais rire dans le salon, sa voix à lui qui m'appellait de l'autre côté de ma porte. Ça ne lui plaîsait pas que je me sois enfermé, que je l'ai fui. Il le dit à notre mère, je l'entendais, mais elle commençait à planer et n'y prêta pas attention. Il fini par laisser tomber mais je savais que ce n'était pas une blague et ça faisait chier.
J'étais habitué à vivre comme un reclus. Parce qu'il n'y avait personne chez moi, ou au contraire, maman ramènait beaucoup « d'amis ». Ma chambre était devenue un appartement, entre mon lit, mon bureau, le canapé, la table basse et sa cafetière, mon portant à vêtements et la porte qui me donnait accès à la salle de bains. Ce soir-là, je mangeais un paquet de céréales qui traînait sur mon bureau pour ne pas avoir à sortir de ma chambre. Mon casque sur les oreilles, j'épuisais mes playlists et mes séries en cours, je révisais tout ce que je pouvais, même le devoir de latin qui m'emmerdait tant.
Même tard dans la nuit, je n'arrivais pas à me calmer. L'idée que l'homme assis dans le canapé soit associé à moi, et que forcément, à un moment donné, cela se saurait me faisait frissonner. J'avais tout prévu, sans sa liberté conditionnelle, j'aurais eu plus de vingt ans à sa libération, et j'aurai déjà été loin, j'aurai déjà coupé les ponts avec ma mère, je serai déjà devenu quelqu'un d'autre, très loin de tout ça. Désormais, tout était compromis. Il me fallait patienter l'année scolaire, à peine entamée avant de pouvoir fuir.
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Poupées Russes [BxB] AUTO-EDITE
Ficción GeneralSi Myron a toujours refusé d'être un Volk, un "loup", cette meute qui a mené son frère en prison, aujourd'hui tout se remet en question. Par peur de son frère Akim, par amour pour Sergueï, jusqu'où Myron est-il prêt à aller pour sa liberté ? Après...