~8~ Cécilia

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Son corps semble peser une tonne. La tristesse et le désespoir enserrent son cœur et sa cage thoracique dans un étau de fer. Pourtant, son cerveau s'affaire. Son frère ne peut pas être mort. C'est impossible.

Lui qui était son soleil. Lui qui brillait dans chaque pièce dans laquelle il entrait. Lui qui éclairait ses journées et tout simplement son existence. C'est impossible.

Josh, toujours optimiste, cherchant la meilleure des solutions, les meilleurs points positifs dans tout chose, même là où elle ne voyait que du noir. C'est tout simplement impossible. Pourquoi lui ? Pourquoi lui et pas elle ?

Lui, qui avait cette petite fossette unique qui creusait sa joue lorsqu'il riait. Lui qui arborait un rictus amusé et malicieux en toute situation. Pourquoi a-t-il dû quitter ce monde ? Pour quelles raisons celui-ci ne lui est-il pas un peu plus reconnaissant ?

A quoi bon passer de bons moments, vivre l'instant présent à deux cents pourcents si tout peut s'arrêter d'un jour ou l'autre ? Pourquoi prendre la peine de s'impliquer dans chaque seconde ?

Josh aurait su l'aider, et elle sait qu'il préférerait qu'elle avance. Qu'elle marche seule, elle qui a toujours vécu à deux. Cependant, elle en est incapable. Lui aurait su le faire.

Les larmes, froides et salées, glissent sur ses joues, lentement. Elle n'a plus la force de les essuyer. Parce que sa force, c'est lui qui la lui donnait. Et il n'est plus là.

Elle se laisse bercer par les mouvements réguliers de son cheval ébène et si calme. Il ne peut comprendre le tourment qui l'habite, la tempête de sentiments qui l'écrase. Cecilia esquisse un sourire sans joie devant cette ironie du destin : l'animal s'appelle Tempête.
Seul son frère aurait été capable de démêler ses émotions, et de compatir.

C'est sa moitié, son ombre qui a disparu. Elle n'est plus qu'une coquille vide, un corps sans âme, qui se demande encore pourquoi il résiste. Pourquoi il vit, alors qu'il voudrait tant rejoindre son jumeau dans l'obscurité. Ils se complétaient si bien... On leur a toujours dit.
Alors pourquoi doit-elle vivre un tel déchirement ?

Elle souffle, désespérée, morose. Sa monture avance, suivant la file de ses camarades en aval. Sa cavalière ne prête aucune attention aux paysages qui l'entourent. Ils sont splendides, certains à couper le souffle, mais elle ne les voit pas. Elle aimait découvrir de nouveaux endroits avec Josh, et avec lui, elle s'extasiait devant si peu. Maintenant, tout la laisse indifférente. Il lui manque cet éclat que le fait d'être un duo lui conférait.

Peut-être est-ce de sa faute ? Sûrement même.
Aurait-elle provoqué ce désastre ?
Possible, ou du moins, elle n'a rien fait pour l'empêcher de se produire.
Inconsciemment ? Volontairement ?

Elle aurait dû l'empêcher de monter sur le dos de ces animaux machiavéliques. Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait ? Pourquoi a-t-elle accepté de ne plus voir son jumeau, de ne pas savoir où il allait, ce qu'il faisait ? C'est donc entièrement de sa faute. Culpa sui.

De nouveau, ses yeux lui piquent, sa vue se brouille. Le paysage auquel elle ne prêtait de toute manière même pas une once d'attention devient flou. Une boule de tristesse et de réelle peine opprime sa gorge. Le cœur au bord des lèvres, le liquide incolore qui porte en lui le goût de la mer commence doucement à couler sur ses pommettes, puis à longer sa mâchoire, et finit sa course sur son menton, d'où il goutte.

Elle ne fait aucun geste, laissant son chagrin s'exprimer comme bon lui semble. Elle n'en a que faire. De toute façon, elle n'a que faire du reste du monde, de ce qui l'entoure. Elle sait qu'elle semble égoïste, se concentrant sur sa douleur. Son effroyable souffrance. Cependant, elle ne fait rien pour changer. Elle ne veut pas. Elle ne peut pas. Tout lui est insupportable, impossible à réaliser. Avant, elle ne faisait rien seule... toujours accompagnée.

Son cheval s'arrête, évitant ainsi de percuter l'animal précédent. Cet arrêt réveille Cécilia de sa léthargie. Elle lève la tête, et observe de ses yeux rougis le paysage qui les a arrêtés.

Il n'a rien de spécial, et est même moins intéressant par rapport à certains autres environnements traversés. En effet, c'est un simple chemin de cailloux qui louvoie entre de nombreux hauts arbres. Ceux-ci semblent centenaires, ou du moins très âgés. Les magnifiques couleurs ocres, écarlate et les différentes nuances de verts qui semblent avoir été projetées par petites touches dans le tableau de l'automne rendent le paysage sublime. La luminosité est faible, car le toit infranchissable créé par le feuillage épais des végétaux filtre la lumière de l'astre lumineux, sur le point de se coucher.

Cependant, ce n'est pas cela qui attire l'attention de la jeune fille. Non, c'est le jeune renard roux, imposant, assis au milieu du passage, la queue enroulée autour de ses pattes. Plus grand que ses comparses du monde humain, il est éclatant d'un orange vif. Le bout de sa queue et celui de ses oreilles sont éburnés. Ses yeux noirs, profonds et intelligents, semblent sonder les jeunes adolescents qui lui font face. Personne ne prononce ne serait-ce qu'un mot, subjugué par la beauté de l'animal mythique. Car il s'agit bien de cela, d'une bête légendaire. Les deux grandes ailes rousses qui l'entourent le prouvent bien. Elles sont en dégradé vers le bleu, la fin des plumes est donc similaire à la couleur du toit du monde, un jour d'été sans nuage. L'association du bleu et du orange pourrait être déconseillée, néanmoins, sur l'animal et dans le contexte, elle ne rend le renard que plus sublime.

Soudainement, l'animal ouvre la gueule, dévoilant des canines blanches ivoire rivalisant de splendeur. Il laisse échapper un léger son, que Cécilia assimile à un couinement. Enfin, une note plus douce, plus mélodieuse et bien plus grave résonne dans l'air si silencieux, quittant le museau toujours entrouvert du canidé :

— Bienvenue dans la partie sacrée de la Forêt, jeunes aventuriers. Soyez conscients d'où vous mettez les pieds.

Après cette phrase mystérieuse, qui laisse le groupe stupéfait, l'animal se lève souplement et disparaît d'un rapide bond agile dans les buissons bordant le chemin.

Pendant un long moment, personne ne parle. Puis le Prince déclare d'une voix forte :

— Jeune Renard, nous te prions, mes camarades et moi-même, en tant que Prince, de revenir.

Sûr de lui, il attend. Le groupe, incertain, patiente avec plus de scepticisme. Pourtant, très vite, un museau roux revient, contrastant violemment avec le vert foncé du buisson dans lequel il vient d'apparaître.

— Oui, mon Prince ? susurre-t-il d'une voix mielleuse, qui endort le moindre doute que Cécilia aurait pu porter sur l'animal.

L'Esprit de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant