~ 18 ~ Edwina

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Elle n'a tout simplement pas le choix. Ils ne lui ont pas laissé.
Elle servira d'appât.

Cette idée ne la terrorise pas autant qu'elle le devrait. Elle est assez calme, en fait. Elle est pragmatique ; Shayna n'aurait pas pu le faire, les garçons sont meilleurs au lancer de filet, et Cécilia a été plus rapide qu'elle à se désister pour ce rôle.

Elle se revoit autour du feu, le regard des membres de leur petit groupe sur sa personne, insistants. Elle y a lu de sincères excuses dans ceux de Shayna, une certaine appréhension dans ceux de Cécilia, de la compassion chez Farid et de la simple indifférence dans les iris sombre du Prince.

Elle secoue sa tête pour chasser ses brefs moments passés. Elle ferme les yeux et inspire. Sa main droite tremble, ses doigts sont crispés autour du couteau que le Prince lui a donné et ses jambes hésitantes ont du mal à rester debout. Ces sensations l'avaient quittée depuis longtemps. Ce qui la surprend encore plus, c'est son cœur.

Boum, boum, boum.

Boum, boum, boum.

Il tambourine dans sa poitrine, à un rythme plus accéléré que ses habituels battements réguliers. Elle entend son sang exploser irrégulièrement à ses oreilles. Des bouffées de chaleur lui prennent à la simple pensée que le plan peut avoir des accros, que le scénario idéal ne va peut-être pas se dérouler. Que lui arrivera-t-il, alors ? Et si le Cerf ne vient pas, jusqu'où doit-elle se blesser ? Le doute s'insinue dans son esprit, qui était imperméable à ces sentiments trop humains quelques jours auparavant.

La peur circule de nouveau dans ses veines. La peur. Une émotion si commune qu'il paraît inenvisageable de vivre sans. Une émotion qui régule nos envies créées sur des coups de tête. Une émotion qui, si elle avait été présente dans son corps ce jour où elle avait décidé de prendre le navire pour Hydra, lui aurait dicté de rester chez elle, en sécurité. Si elle avait pu avoir peur, elle ne serait pas là, à la recherche de toutes ces émotions disparues. Avec la peur, elle n'aurait jamais vécu ce moment.

Alors qu'elle se tient debout au milieu de la clairière qu'ils ont choisie, où elle peut entendre le bruissement du filet au-dessus de sa tête, la respiration saccadée de ses nouveaux amis, son cœur qui tambourine dans sa poitrine, sa paume qui devient moite sur l'arme et son propre souffle quelque peu irrégulier, elle sourit.

C'est un sourire sincère, un mouvement qu'elle avait depuis longtemps oublié, dû à une émotion qui l'avait quittée, comme toutes les autres et qui semble revenir ; le soulagement. Elle vit pleinement. Son rythme cardiaque varie selon des sentiments diverses, comme tous les autres êtres vivants.

De loin, elle a conscience de renvoyer une image étrange ; son corps enfantin se tient droit, mais ses jambes tremblent. Les commissures de ses lèvres se sont relevés dans un large sourire qui illumine son visage, alors que la lame du couteau autour duquel sa main droite s'enroule s'approche dangereusement de la peau fine de son poignet gauche.

Edwina prend une grande inspiration et ferme les yeux. La lame froide se pose sur son poignet, là où ses veines verdâtres sont bien visibles. D'un geste vif qui ne laisse pas de temps à ses réflexions, elle tire d'un coup sec.

Son cœur se décroche et ses jambes lâchent. La douleur qui émane de son poignet la force à expirer un cri. Sa peau semble prendre feu sous l'agression et la chaleur du sang abondant. La lame lui échappe alors qu'elle soutient son poignet de sa main droite. Elle chancelle et tombe à genoux, la respiration saccadée par la souffrance.

L'odeur métallique de l'hémoglobine assaille ses narines. Son cœur remonte au bord de ses lèvres.

Elle ouvre les yeux pour observer les conséquences de son acte. Son sang coule à flot et vient tacher le sol sablonneux de la clairière. Des fleurs écarlate fleurissent sous son poignet ouvert.

Elle entend et elle ressent maintenant parfaitement son cœur qui pompe presque avidement son sang.

Boum, boum, boum.

Boum, boum, boum.

Des taches sombres parsèment sa vision. Sa tête l'élance et son corps semble perdre toute vitalité. Elle papillonne des yeux.

Elle s'est peut-être entaillée trop profondément, pense-t-elle. Il ne lui semble pas que leur plan comprenait qu'elle s'évanouisse. La terre danse sous ses yeux. Les sons se mélangent et réduisent, jusqu'à ne former qu'un confus nuage de bruit.

Les paupières d'Edwina se ferme lentement, ses doigts se détachent de son poignet. Elle devine la silhouette de l'imposant animal au pelage immaculé apparaître devant elle. Malgré son état, elle ramasse ses forces et esquisse un faible sourire. Il est venu. Un souffle s'échappe de ses lèvres alors qu'elle pense murmurer un mot.

Ses yeux se ferment et elle répète ;

— Merci.  

L'Esprit de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant