~27 ~ Edwina

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Lorsque le soleil émerge et caresse les paupières d'Edwina, celle-ci ouvre doucement les yeux. Elle reste un instant dans sa couche, agréable surprise d'être si bien installée. Sa peau se couvre de frissons et elle s'enfonce plus profondément sous la couette de plumes. La fraîcheur matinale la fait trembler, malgré ses couches de vêtements.

Elle baille discrètement avant de se lever. Un regard au feu l'informe qu'il ne reste que des braises sur un lit de cendres ; ce qui explique la température glaciale. Edwina commence déjà à ranger ses affaires. Elle ne se retourne pas lorsqu'un mouvement chuinte derrière elle. Ses camarades se réveillent et commencent eux aussi à plier le camp dans un silence dû au réveil matinal.

Lorsque toutes ses affaires ont retrouvé leur place dans son sac, elle s'assoit et couvre les dernières braises du feu avec la terre environnante. Elle a vu Mathieu faire cela tous les matins de leur petit voyage. Quelques champignons trouvés par l'un des leurs la veille sont encore près du foyer éteint. Chacun grignote le sien lentement, cherchant vainement à calmer leur faim.

— Si tout le monde est prêt, on ne va pas tarder, déclare-t-il d'une voix encore embrumée.

Edwina se relève et se dirige vers son cheval. L'étalon bai à la robe marron doré dort à la manière des équidés ; la tête descendue, les yeux fermés, mais les postérieurs en mouvement et le corps aux aguets.

— Coucou, souffle-t-elle pour le prévenir de son arrivée.

Les animaux se réveillent vivement. Avec un soupir de soulagement, Farid, qui suit Edwina, marmonne que toutes les montures sont là. Voyou revient vers eux ; le cheval s'était éloigné. Mathieu s'agenouille près du Cerf et vérifie son pouls à deux doigts. Il lui glisse un peu d'eau entre ses babines inertes. Le cervidé avale doucement, malgré son étrange état d'inconscience. Les cavaliers se hissent en silence et se mettent en marche les uns derrière les autres. La colonne traverse au pas la plaine et évite au maximum les collines pour préserver les animaux.

— On ne devrait pas tarder. On y sera pour le déjeuner.

Les chevaux sont calmes durant toute la chevauchée matinale. Au bout de longues minutes de marche, ils passent au trot. Après une heure, une odeur âcre se met à flotter dans l'air et irrite la gorge d'Edwina. Elle plisse les yeux lorsque l'odeur se fait plus fort. Le paysage verdoyant laisse place à une scène désolante, qu'ils avaient déjà traversé à l'aller. Les arbres morts s'étirent au dessus des sols recouverts de cendres grisonnantes.

La jeune fille se met à tousser, à l'instar de ses camarades. Les chevaux renâclent à avancer, mais sous les pressions des cavaliers, ils finissent par s'enfoncer dans ce paysage mort. Le soleil monte dans le ciel et les accable de sa chaleur grandissante. Ses rayons arrosent le sol et Mathieu demande un arrêt. Les sourcils froncés, il a le regard fixé sur un élément dans les cendres. L'astre solaire fait scintiller un petit objet. Le Prince se laisse glisser au sol et s'agenouille près de l'élément brillant.

Edwina appuie sur ses talons et s'élèvent au-dessus de sa selle pour suivre ses mouvements. Mathieu plonge ses doigts dans les cendres et extrait l'objet avant de le secouer et de l'inspecter. Ses yeux s'écarquillent et il lance un regard interloqué vers les cavaliers.

Son bras se lève et il semble leur montrer l'objet. Edwina plisse les yeux, mais ne parvient pas à comprendre de quoi il s'agit. Il semblerait que ce soit un symbole, une forme entourée d'un large cercle de couleur argent.

Le Prince ouvre la bouche et secoue les doigts, mais aucun son ne sort de ses lèvres entrouvertes et ses compagnons ne comprennent pas.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demande Shayna.

— C'est... Un loup.

Edwina fronce les sourcils. Oui, et alors ?

— C'est le symbole de ma famille. De l'actuelle Couronne. Que fait-il ici ? Chaque membre de la royauté porte ce symbole, notamment les Gardes dès qu'ils sont en patrouille, continue-t-il en se relevant.

Il tourne l'objet dans tous les sens, l'étudiant sous tous les angles, les sourcils froncés d'incompréhension.

— Comment a-t-il pu atterrir ici ?

— Mathieu, il faut te rendre à l'évidence, tente Shayna. Tout cela, (la jeune fille englobe le paysage désolant d'un large mouvement de main) n'est que le fruit des manigances de l'actuelle Couronne.

— Mon Père n'a rien à voir avec tout ça ! s'énerve-t-il. Ce doit être des traîtres qui ont monté ce plan !

Edwina, du haut de son jeune âge, comprend que Mathieu est dans le déni ; la vérité est trop cruelle, trop blessante.

— Quelqu'un appartenant à la Couronne a monté tout cela pour nous faire croire que le Cerf était maléfique et que nous devions le traquer.

— Il y a deux choix possibles, réfléchit Shayna à la suite de la réflexion de Farid. Soit c'est le Roi lui-même qui a monté tout ça, soit on a cherché à nous éloigner du Palais.

— On constitue alors des proies plus faciles... C'est le Renard ! Pour faciliter mon assassinat !

Mathieu s'égolise, tenant fermement le symbole de sa famille en main. Edwina est un peu perdue devant cette conversation trop complexe pour elle. Pour elle, le Renard n'a pour une fois rien à voir avec la situation désolante.

— De toute façon, quoique ce soit, rien ne nous permettrait de résoudre notre problème ; nous devons donc continuer.

Shayna paraît prête à continuer de parler, mais les mots meurent avant d'avoir franchi ses lèvres. Elle jette un bref coup d'œil à Edwina avant d'ajouter ;

— Rendons-nous au Palais pour rendre l'animal et rentrer chez nous.

Le petit groupe acquiesce, mais le Prince garde un regard intérieurement meurtri, alors que le pli creusé entre les deux sourcils de Shayna montre ses réflexions. Le jeune homme se hisse sur sa selle et la colonne se remet en marche.

Le paysage défile bientôt trop vite sous les pattes des animaux au trot pour qu'Edwina y prête attention : elle se concentre pour rester en selle. Le soleil continue son ascension tandis qu'ils avancent. La faim tenaille l'estomac de l'enfant, mais ils ne s'arrêtent pas pour déjeuner et la jeune fille ne se risquerait pas à demander une pause.

— On est bientôt arrivé ? demande Farid d'une voix puissante sur sa gauche.

Il semble à l'aise sur son cheval dont l'encolure se lève fièrement et dont le trot semble être confortable. Le Prince hoche la tête avance de crier en réponse :

— Je reconnais cette forêt : elle fait partie du domaine royale.

En effet, ils quittent la plaine pour plonger dans une forêt. Mathieu demande un trot plus lent. Les feuillages denses des arbres plongent le chemin qu'ils parcourent dans une fraîcheur bienvenue.

Deux chevaux arrivent en trottant en sens inverse. Ce sont des étalons au pelage ébène dont les armures cliquettent et brillent sous les rares rayons qui arrivent à pénétrer dans la forêt. Lorsqu'ils les aperçoivent, les deux cavaliers dont les capes verdoyantes dansent dans le vent ralentissent. Levant la main, Mathieu passe au pas et le reste suit. Le duo s'arrête à la hauteur du Prince. L'un des deux paraît brièvement surpris par leur convoi. Le regard du second tombe directement sur le corps inerte du Cerf dont le pelage continue de scintiller.

— Bien le bonjour, mon Prince. Je vois que la Traque a été bonne.

— Nous ne pouvons pas galoper, allez donc prévenir le Roi de notre arrivée.

Les gardes ne s'y trompent pas ; cette phrase ayant l'apparence d'une simple requête est en fait un ordre camouflé. Ils hochent la tête et font faire un demi-tour à leur monture avant de disparaître derrière le prochain tournant.

Le Palais se dessine bientôt entre les arbres. Les cavaliers émergent de la forêt et les jardins royaux s'étendent devant eux. Le Roi, prévenu il y a de longues minutes, s'avance vers eux, paré d'une longue cape verdoyante dont le tissu semble plus noble que ceux des gardes. Il ouvre grand les bras et un large sourire se dessine sur ses lèvres alors que son regard avide dévore le Cerf.

Edwina frémit. C'est un regard puissant. Dangereux.

L'Esprit de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant