~ 17 ~ Shayna

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Énoncer ces quelques mots lui laisse un goût amer dans la bouche. Cela va à l'encontre de tous ses principes, de capturer le Cerf. Et pourtant, elle doit s'y résoudre pour pouvoir rentrer chez elle.

Pourquoi voudrait-elle rentrer aussi ardemment ? Cette question tourne dans son esprit sans qu'elle puisse y répondre correctement. Farid a une famille dont il veut prendre soin et qu'il aime, et qui l'aime. Il a un quotidien rythmé, une origine sociale précise. Shayna n'a rien de tout cela.

Elle n'a qu'un héritage sombre dont elle veut se débarrasser. Une grimace déforme brièvement son visage à la simple mention mentale de cette somme et de ces biens qui lui sont tombés dessus.

— Il ne faut pas le blesser, annonce Farid, où la suite de notre plan tomberait à l'eau.

Son esprit rechigne à chercher des idées pour capturer l'animal. Elle ne fronce les sourcils que pour donner l'illusion qu'elle y réfléchit, mais intérieurement, son cerveau se focalise sur tout, sauf ce sur quoi elle doit travailler.

Un soupir non désiré franchit la barrière de ses lèvres. Farid, à côté d'elle, lui lance un regard curieux, mais ne lui pose aucune question.

— Comment on capture un animal ? lui demande-t-elle doucement. Je n'en ai aucune idée. Je n'ai jamais fait ça.

Il lui lance un sourire avant de lui répondre :

— Je n'attrape que des reptiles et des petits mammifères. Alors je ne peux pas vraiment t'éclairer. En général, on guette des signes de leur passage, on leur tend des pièges...

Ce dernier mot sonne dans sa tête comme une évidence.

— Il faut piéger le Cerf, murmure-t-elle.

Farid fronce les sourcils et se rapproche légèrement d'elle, pour signifier qu'il ne l'a pas entendue.

— J'ai dit : il faut lui tendre un piège.

— Quel genre de piège ? demande le Prince.

— Il fut l'amener là où on veut qu'il aille pour l'attraper ensuite, énonce Cécilia.

L'image d'Edwina observant sa paume guérie de son entaille revient à la mémoire de Shayna.

— La première fois qu'on l'a vu, il est venu à nous lorsque Edwina a failli chuter dans ce précipice. Le Cerf semble être attaché à guérir et à sauver.

— Donc il faut mettre au point une stratégie en rapport avec la mort de quelqu'un ? Super ! S'exclame Cécilia.

— Mais non, reprend Farid. Je pense que Shayna voulait parler d'une blessure ou de quelque chose que le Cerf sera obligé de venir observer de lui-même.

Shayna hoche la tête.

— Il faut que quelqu'un se blesse volontairement en espérant que le Cerf réagisse, ajoute-t-elle.

— Donc s'il réagit, on lui tombe dessus, réfléchit Cécilia. Mais comment un tel animal se fait attraper ? Je veux dire : on utilise quoi pour ne pas le blesser ? Un filet ?

Shayna hausse les épaules alors que Farid acquiesce.

— La question est plutôt : et s'il ne réagit pas ? renchérit le Prince.

Les lèvres de Shayna se plissent, ses sourcils se froncent. Il lui paraissait évident que le cervidé agirait, mais il est vrai que cette option est à considérer.

— Alors la blessure n'est pas assez profonde. Ou il a senti le piège.

— Espérons qu'il réagisse, souffle Farid.

— Mais du coup, ça revient à ma question : on l'attrape avec un filet ? C'est aussi simple que ça ?

— Et après il faut l'assommer.

Une grimace déforme le visage de la jeune fille à cette idée. Son cœur vibre d'appréhension alors que son esprit ne cesse de répéter que c'est mal. Elle secoue la tête, tente de se persuader que c'est la meilleure chose à faire.

Ils n'ont pas le choix. S'ils ne ramènent pas le Cerf, non seulement ils ne pourront pas rentrer chez eux, mais en plus ils seront à coup sûr poursuivis dans un monde qui leur est inconnu et traqués comme des hors-la-loi par le Roi. Et le grand cervidé se fera un jour attraper, par des chasseurs bien moins cléments qu'ils ne le sont.

Perdue dans ses pensées, la conversation a continué sans elle et bientôt le groupe hoche la tête à une phrase qu'elle n'a pas entendu. Son cœur loupe un battement et elle peste intérieurement contre cette habitude. Elle jette un regard de détresse vers Farid. Le jeune homme hausse les sourcils, et alors que le Prince et Cécilia débattent, il forme cette phrase avec ses lèvres, silencieusement : "t'es encore perdue ?".

Le sang lui monte vivement aux joues et elle hoche la tête, penaude. Même le jeune homme qui ne la connaît pas depuis si longtemps a déjà remarqué sa fâcheuse habitude à perdre le fil de la conversation.

— On cherche un moyen de ramener le Cerf au Palais s'il est inconscient.

— Ces bêtes pèsent une tonne, mortes ! S'exclame le Prince, qui récolte un coup d'œil noir de l'ancien cavalier du Griffon.

Une brindille craque derrière eux et résonne durant ce court silence. Edwina apparaît, les cheveux attachés en un chignon défait, son sac à dos à bout de bras.

— Bonjour, murmure-t-elle timidement.

Le groupe lui retourne vaguement son salut, dans un mot confus. La jeune fille s'assoit sous les regards de ces compagnon. Son réveil les a fait taire. Ils ne savent plus ce qu'ils sont censés garder sous silence avec elle et ce qu'elle peut connaître. Le cœur battant, Shayna tente sa chance :

— Nous allons monter un piège pour attraper le Cerf. Mais il nous faudrait un filet...

L'enfant hoche la tête et doucement, se retourne, ouvre son sac, fouille un instant et en extrait un filet. Les yeux de Shayna s'écarquillent devant les mailles solides et la corde brune épaisse.

— Il y en avait un dans mon sac, lâche Edwina d'une voix calme.

Le petit groupe s'échange un bref coup d'œil. Ils ont tous leurs outils. Leur plan. Le filet. Ils sont prêts, et le cœur de Shayna tambourine dans sa poitrine. Il ne leur manque que l'appât.

— Qui veut bien servir d'appât ? demande de but en blanc Cécilia. Ca ne peut pas être moi, je ne suis pas convaincante.

— Moi, il sentirait le piège à plein nez, et je ne suis pas sûre de pouvoir servir d'appât pour sa capture alors que j'étais contre.

— Je suis le mieux placé pour l'assommer, annonce Mathieu, je l'ai déjà fait plusieurs fois.

— Et moi, j'ai déjà utilisé des filets plus d'une fois. Je ne peux pas servir d'appât, décline Farid.

Les quatre adolescents tournent leur visage vers la seule qui n'a rien dit pour éviter cette tâche. Celle que le Cerf connait déjà. La plus jeune d'entre eux, dont ils ont caché l'entièreté du plan.

L'enfant écarquille les yeux sous leur regard insistant. Ils l'ont désignée.

Shayna a le cœur en miettes à cette simple idée. Ils se sont tous désistés pour cet infâme rôle et ils l'ont tout simplement donné à la petite dernière, qui n'était même pas là pour comprendre ce qui se tramait.

Edwina n'a pas le choix. Elle servira d'appât.

L'Esprit de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant