L'Esprit de la forêt

~9~ Shayna

Un magnifique renard roux vient de disparaître du passage. Encore subjuguée par l'assurance et la magnificence qu'il dégageait, Shayna n'entend pas la demande du Prince. Cependant, elle voit réapparaître rapidement le museau du splendide animal.
Stupéfaite par la magnifique alliance d'un orange éclatant et d'un bleu ciel, elle est fascinée par le canidé. Elle n'est pas la seule : l'ensemble du groupe est bouche bée, même Cécilia qui, quelques minutes plus tôt, était désespérée et au fond du gouffre.

— Nous recherchons le Cerf Blanc, Renard, lance le Prince.

L'animal hoche la tête.

— Je sais où vous pourriez le trouver, répond-il d'une voix qui sonne merveilleusement bien aux oreilles de Shayna.

— Pourquoi nous aiderais-tu ? demande le jeune homme, venu à dos de Griffon.

— C'est une excellente question, garçonnet, susurre le Renard, l'œil éclairé d'une étrange lueur malicieuse. Je suis un être généreux, gêné par la présence de ce grand cervidé...

— En quoi te gêne-t-il ? interroge Farid, ses sourcils noirs froncés, au-dessus de ses yeux de même couleur.

— Tututu jeune homme, fini les questions, réprimande le canidé d'une voix mielleuse.

La réalité frappe la jeune fille de plein fouet. Mielleuse. Car c'est exactement ça. Que cache l'animal ? Son cœur s'emporte tandis que ses yeux analysent la bête et que son cerveau décortique chaque parole prononcée. L'animal est dit être le plus rusé de tous, quelque peu égoïste. Qu'est-ce que ça lui rapporterait de les aider ? Les réflexions à plein régime, Shayna a encore manqué un bout de la conversation. Elle souffle, exaspérée par son propre comportement, avant de se reconcentrer sur l'échange. Après plusieurs minutes de discussion tendues, le renard accepte de mener le petit groupe au grand cerf.

Sa perplexité est palpable. Qu'y a-t-il ? Ce n'est peut-être qu'une ruse... Mais pourquoi ? Shayna se perd dans les tréfonds de son imagination, et tente de sonder le gouffre abyssal de ses réflexions. Mais ces tentatives sont vaines : elle ne comprend pas le mécanisme du plan de l'animal roux, s'il y en a un. Elle décide d'abandonner avec un léger mouvement de tête négatif.

Elle demande d'une pression aux flancs de sa monture d'avancer. La file des chevaux se met lentement en branle, suivant leur nouveau guide déclaré. Il marche devant, la tête haute, fier de lui, presque arrogant.

Très vite, Shayna sent ses yeux piquer, sa gorge se dessécher. Elle fronce les sourcils lorsqu'une odeur sèche, chaude et âpre lui brûle les narines. La brise se transforme peu à peu, auparavant translucide, elle devient sombre. Des éclats rougeoyants volent et tournoient dans l'air qui s'assombrit. Le paysage qu'ils traversent suit la même métamorphose : la forêt dense, verte et feuillue a laissé place à une plaine desséchée, presque morte, où les rares arbres semblent calcinés. Le sol se pare d'un manteau de poudre noire, qui s'envole à chaque foulée des animaux.

L'air sec fait tousser les jeunes adultes, qui utilisent alors le haut de leur tee-shirt comme masque. Ils fendent le vent, tels des spectres. L'élément est un sombre présage des événements qui se sont passés à cet endroit. Seul l'animal mythique connaît le passé de cette plaine, Shayna en est certaine. L'atmosphère devient trop chaude, étouffante. Les chevaux renâclent, asphyxiés par cet air pollué de cendres. Car c'est de cela qu'il s'agit : le paysage est brûlé, les résidus du feu ardent qui a pris place ici voyagent au gré de la brise.

Qui a causé un tel désastre ? Comment peut-on laisser l'environnement dans un état si désolant ?

Elle n'est pas triste, non, mais le vent, la chaleur, la poussière ardente lui piquent les yeux. Ceux-ci utilisent alors la seule arme dont ils disposent : les larmes. De grosses billes d'eau roulent sur les joues de la jeune fille, traçant deux sillons blancs sur ses joues poudrées de noir.

Est-ce réellement le Cerf Blanc qui cause de tels dommages à son milieu naturel ? Quelles sont les raisons de ce cruel acte ?

Une silhouette apparaît furtivement dans le champ de vision de Shayna. Son cœur s'emballe tandis que ses yeux, plissés, analysent l'environnement à sa gauche. Elle n'a pas rêvé, elle en est sûre. Pourtant, il n'y a aucune trace de vie dans ce champ désolé. Qu'a-t-elle vu ? Juste une illusion d'optique, créé par un tourbillon de cendres ? Ou une réelle silhouette ? Si c'est le cas, que ferait-elle ici ? Quelles sont les raisons de sa présence dans un lieu si sinistre ?

— Que s'est-il passé ici ? s'étrangle le Prince, perdant sa terrible assurance.

Le renard, à qui la question est adressée, souffle, dans un rôle dramatique rodé. Shayna commence à perdre confiance en l'animal.

— Qui pensez-vous que ce soit ? C'est bien sûr votre fameuse proie...

Leur proie. Après tout, c'est à peu près cela. Un pauvre animal, traqué par de féroces prédateurs que le groupe incarne. Le Grand Cerf n'a aucune idée de ce qui l'attend, ne sait rien de son destin déjà tragiquement tracé. Les chasseurs, de leur côté, ne connaissent pas les véritables raisons de leur traque, ni les délits de l'animal. Ils jugent rapidement par rapport à ce qu'il leur est demandé.

Mais... et s'ils se trompaient lourdement ?