Cendrillon

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     Jeanne Corriveau était assise dans son salon. Elle sortait à peine d'un bain chaud pour contrer la température fraîche de l'automne. Elle voulait se remettre aussi d'un frisson qui ne la quittait pas, après les innombrables fois où elle avait laissé la brise de saison entrer librement, en ouvrant la porte à tous ces enfants costumés. Elle souriait en se rappelant une petite de quatre ans déguisée en ours. Son costume un peu trop grand forçait la petite à lever le regard, pour voir en dessous de toute cette fourrure. À peine avait-elle levé ses jambes pour mettre ses pieds sur la table basse, que la sonnette de porte retentissait pour une ixième fois de la journée. Elle regarda l'heure. Il était 21 h 03.

- Il est tard un peu, les enfants, se dit-elle à voix basse.

Elle se leva, resserra la ceinture de sa robe de chambre par pudeur. Elle écarta le rideau pour voir par la vitre de la porte d'entrée, un père de famille et son petit bout de chou, un de friandises à la main. Elle prit le reste des friandises sur la petite table à côté de la porte. En ouvrant, elle s'exclama :

- Mais tu passes tardivement mon petit prince. S'adressant à ce qu'elle croyait être un enfant, après avoir souri à celui qu'elle croyait être le papa.

Elle reçut pour réponse un terrifiant coup de poing au visage et tomba lourdement à la renverse, sans connaissance. Au moment de se réveiller, elle reconnut le plafond de sa chambre. Elle ne pouvait plus bouger, ses membres étaient lourds et ne répondaient en rien à sa volonté. Elle ne voyait que d'un œil. Quand l'homme passait à droite du lit, elle ne le voyait que partiellement, car son propre nez lui bloquait la vue.

- Que se passe-t-il ? Pourquoi ? avança-t-elle avec difficulté.

- Inutile de tenter de bouger. Au printemps, je suis allé marcher dans les sous-bois de ma terre, au bord du ruisseau. J'y ai cueilli de jolies fleurs juste pour vous, madame Corriveau. Elles sont magnifiques et c'est particulièrement la souche qui est intéressante. Autrefois, mes ancêtres cohabitaient avec l'animal, mais parfois ce dernier se montrait un peu curieux et devenait un danger pour les enfants du peuple. La Corydale a des propriétés paralysantes, madame Corriveau. On immobilisait la bête pour la relocaliser, car contrairement à vous, les blancs, nous ne tuons pas pour rien ou par plaisir.

- Mais... Je...

- Vous vous réveillez plus tôt que prévu, mais cela vous donnera l'occasion d'entendre ma prière pour la libération de votre âme. L'homme, de stature impressionnante et à la longue chevelure noire, se mit à réciter, je vous salue Marie en innu.

- Mari statmishkatin Kshakasineshkakuin Aiamieu meruasilueun : tshi manitu tshi nitsimuk kassinu etashits ishkuents eku tshir arutsitsitua ueritakushin kie tsit situaueritakushu tshikus. Jesus, Tsitsitua Mari tshir tshe manitu ka eckusitut aiaimetunan ka pastatiats anutsis kie tshe nipiats aismitunan.

(Les r étaient prononcés comme des i, et les u comme des ou)

Dans ses mains, des morceaux de champignons qu'il venait de sortir de sa poche de chemise. Il avait roulé ses manches, laissant voir des avant-bras puissants et tatoués d'un aigle avec une coiffe de chef amérindien. Il s'approcha de sa victime.

- Dites-moi pourquoi vous me faites du mal.

Arriva-t-elle à dire avec lenteur, la salive s'extirpant de sa bouche.

- Parce que votre mère vous a mal élevée. Mon peuple dit : Une mère qui élève bien un fils en fait un homme. Une mère qui élève bien sa fille éduque un peuple.

Puis il ajouta :

- Sachez, avant de partir, que toute personne peut garder les yeux fermés et avoir l'esprit ouvert. Mais vous, madame Corriveau, vous avez gardé les yeux ouverts et l'esprit fermé et c'est pour cette raison que vous mourez aujourd'hui.

En prononçant ces derniers mots, il enfonça dans la gorge de la femme, les champignons qu'il avait en main et qui n'avaient de joli que le nom. Le cortinaire si joli avait été mélangé à l'ange de la mort. Il attacha la victime par les poignets et le haut des mollets au lit de métal. Il devait garder les chevilles et les pieds libres. Il regarda l'heure. 21 h 50. Il alla à la fenêtre du salon et repoussa légèrement le rideau avec son index. Calme plat. Il retourna à la chambre où la femme bougeait légèrement le pied droit. À sa ceinture, il prit, d'un étui en peau de castor, un énorme couteau dont le manche était fait en os de caribou. La lame devait mesurer 20 centimètres de long. Il s'approcha de sa proie. Amarok découpa la robe de chambre de la femme, comme si c'était une vulgaire feuille de papier. Il retira ensuite délicatement les bas de laine, pour dénuder également les pieds de sa victime. La femme de 64 ans se retrouva complètement nue.

Il remit le couteau dans son étui, se rendit à la cuisine pour y prendre un verre et le remplit d'eau. De retour dans la chambre, il sortit de sa poche de chemise une fiole contenant de la poudre. La fameuse souche de Corydale, lui permettant de paralyser ses victimes. Il en versa un peu dans le verre d'eau, mélangea le tout avec son index et alla vers la victime. Lui bouchant le nez, il versa l'eau dans sa bouche, à un rythme lent, et attendit qu'elle avale le tout. La mise en scène débuta. Il attacha les quatre souris mortes à la citrouille qu'il avait sculptée en forme de carrosse. Il plaça son mannequin de chiffon, déguisé en prince, à côté du lit. Il plaça dans la poche du prince un objet qui lui était fort précieux. L'alliance de mariage de sa mère. Puis il parla à Jeanne, en sachant très bien qu'elle l'entendait encore, malgré la paralysie.

- Le prince vous demandera en mariage, dit le tueur. Cendrillon retrouvera enfin son prince, mais il lui faut d'abord ses souliers de verre.

L'autochtone de 1 m 93 se mit à genoux au pied du lit, devant les pieds de sa victime. Il s'étira le bras et approcha près de lui son sac. Il sortit du premier, un second sac contenant le verre brisé et un pot contenant la résine de sapin.

- Vous savez pourquoi elle est appelée Cendrillon ?

Il n'attendit pas la réponse provenant de sa victime, bien entendu, et y répondit de lui-même :

- Parce qu'elle nettoyait toujours l'âtre et en ramassait les cendres. Cendrillon, vous voyez ?

Déjà, il commençait à tremper les bouts de verre dans la résine pour les coller l'un après l'autre, sur les pieds de Jeanne. Il appuyait suffisamment fort pour que chaque morceau de verre transperce la peau. De petits gémissements sortaient de la bouche de la victime. Elle ne pouvait plus articuler de mots.

- Un sceau avec de l'eau sale, une brosse dans cette eau. Je vous mettrai une laide robe faite de tissus usés et un bonnet de ménagère. Après, je vous quitte, promis. Pour vous, ça va se compliquer. La combinaison de champignons toxiques accélèrera l'empoisonnement. Dans quelques heures, vous serez prise de violentes nausées, de diarrhée et de convulsions. Dans deux ou quatre jours, avant même que les médecins ne puissent comprendre ce qui se passe après examens, votre foie et vos reins seront réduits en bouillie par les toxines. Vous mourrez dans d'atroces souffrances, chère Cendrillon, mais sachez que le soleil se couche quand même, tant sur le meilleur jour que sur la pire journée. Il sortit un bout de lettre, sur un papier jauni par le temps. Celui qu'il avait déchiré et lu, lui soutirant une larme avant la confection de la robe, puis il le déposa sur la table de chevet.

L'affaire WaltOù les histoires vivent. Découvrez maintenant