Aladin fut la mise en scène choisie par le tueur, pour la troisième victime qui fut retrouvée l'hiver suivant. Michel Drapeau était son vrai nom. 45 ans. Père de 2 enfants. Aucun casier judiciaire, camionneur de profession. Son corps gisait sur un tapis semblable au tapis volant, dans le film d'animation de Disney.
* * *
- Habillez-vous chaudement, dit Jay. Il fait - 40 sur le lac.
Jay Harrington mit fin à la conversation. Vêtu d'un manteau bien chaud avec un lettrage au dos indiquant ENQUÊTE. Il regardait autour de lui, ne voyant que ses propres traces dans la fine couche de neige et celles de la motoneige du témoin qui avait découvert le corps. Déjà, avec le vent, les traces devenaient de moins en moins perceptibles. La glace sous ses pieds était bleutée. L'enquêteur sortit une enregistreuse de sa poche de manteau. Il actionna l'enregistrement.
- Jay Harrington, Département des crimes majeurs. Le 12 février 2004. 6 h 30 du matin. Je suis au centre du Lac Maskinongé, dans la municipalité de Saint-Gabriel-de-Brandon. Je me trouve en présence du corps de ce qui semble être la troisième victime de l'affaire Walt. Le tapis sur lequel repose le corps, les pots en terre cuite, semble représenter le film Aladin. Aussi, une peluche de singe et ce qui ressemble à une lanterne de génie, tous disposés autour du corps. Cependant, le corps ne représente pas Aladin. Il est revêtu de centaines de plumes de couleur rouge. Le corps est disposé un peu comme Jésus sur la croix, à l'exception du bras droit, qui a disparu. Le témoin qui a découvert le corps a bifurqué de sa trajectoire, attiré par l'attroupement inhabituel de coyotes ou de loups. Ils se sont sauvés à son arrivée et, toujours selon le témoin, l'un d'eux avait le bras droit de la victime dans la gueule. Nous ne l'avons pas encore retrouvé. Plusieurs morsures sont d'ailleurs visibles sur le corps, dont certaines sur le visage, le cou et les mains. Le corps est complètement gelé.
Jay interrompit momentanément son analyse, pour laisser passer la rafale et enfiler le capuchon du manteau. À nouveau, il guetta au loin les sept minutes à pied qui le séparaient du rivage. Il voyait les gyrophares de différents véhicules de patrouille, à travers la condensation en fumée de sa respiration. Le froid gagnait ses jambes. Il stoppa l'enregistrement et se mit en marche pour aller se réchauffer. À mi-chemin, le radio émetteur qui était accroché à sa ceinture, laissa entendre une voix, celle du sergent de la Sûreté provinciale, en charge dans la région.
- Vous m'entendez, Jay ?
Ce dernier appuya sur l'émetteur.
- 5 sur 5.
- On a du bon chocolat chaud et du café ici quand vous arriverez sur la berge.
Jay voyait au loin son interlocuteur. Il ne répondit pas, se contentant de lever le pouce dans les airs en tendant le bras. Une fois rendu là-bas, il opta pour le chocolat chaud dans sa volonté inavouée d'arrêter le café. Il prit une courte gorgée avant de prendre appui, dos à son 4x4. Il regardait le lieu où le corps se trouvait. Un point rouge d'où il se trouvait à cette distance. Il réfléchissait, se disant que le tueur s'était montré très malin jusqu'à maintenant. Pas de trace laissée à Saint-Côme lors du premier meurtre. Peu d'indices sur le second. Maintenant, ce corps au milieu du lac. Les vents effaçant toutes traces. L'utilisation de plantes naturelles pour l'empoisonnement et le paralysant. Des indices importants pour Jay quant au type de suspect, mais qui ? On ne connaissait presque rien du passé de la seconde victime, car elle était sans famille et avait peu ou pas d'amis. Il était donc difficile d'établir un lien entre les deux premières victimes. Peut-être que ce troisième corps saurait apporter une réponse à cette question.
15 minutes plus tard, il reprenait la marche pour se rendre au cadavre. À peine une minute plus tard, il entendit son nom de la rive. En se tournant, il vit Florian et Louis descendre la butte les menant au lac. Louis glissa et tomba assis. Jay pouvait entendre Florian rire et Louis maugréer. Les deux hommes vinrent le rejoindre.
- As-tu vu la plonge de Louis ? dit Florian, le sourire encore aux lèvres.
- Oui, et tu n'as pas échappé ton café, mon Louis. Une prouesse !
- Tiens, on t'en a apporté un, ajouta Florian, en tendant le breuvage à Jay pendant que Louis enlevait de sa main gauche le reste de neige sur le haut de son pantalon.
Décidément, il était lié à ce breuvage, qu'il le veuille ou non. Les trois hommes se dirigèrent vers le corps de la victime. Le bruit des pas sur la neige et sur la glace, le vent et la respiration de chacun, étaient les seuls bruits perceptibles. Jay avait refusé les motoneiges offertes par le sergent pour se rendre auprès du corps. Non pas pour éviter de contaminer la scène, mais parce qu'il voulait garder ce calme et la marche lui permettait de réfléchir. Laura, celle qu'il aimait, occupait presque toutes ses pensées. Une fois près de la victime, c'est Florian qui prit la parole.
- Ah, mais c'est Lago !
- Qui ? demanda Jay.
- Lago, le perroquet de Jafar dans Aladin.
- Ben je ne savais pas qu'on avait un spécialiste de Disney dans notre département, lança Louis.
- J'ai vu plein de films de Disney au cinéma avec ma sœur et ses enfants, justifia Florian.
- Et pourquoi ce personnage plus qu'un autre ? demanda Jay en regardant Florian.
- Bonne question. Parce qu'il a trop parlé peut-être ? répondit Florian.
- Ça aurait du sens, un perroquet, dit Louis.
- Ça peut aussi être pour la traîtrise, renchérit Florian.
Les deux autres attendaient que Florian explique son affirmation pendant que ce dernier approchait pour observer le corps de plus près.
- Dégueulasse toutes ces morsures. Dans le second opus, Lago trahit Jafar.
- Intéressant, dit Louis. T'es moins con que je ne le pensais à ton arrivée avec nous dans les crimes majeurs.
- Merci pour le compliment, répondit-il avec un grand sourire.
- Tu as trouvé un bout de lettre ? questionna Louis.
- Je n'ai pas encore cherché... Putain qu'il fait froid !
Jay avait répondu à son collègue et ami, tout en frissonnant. Florian prit la parole.
- Celui qui devine où est le bout de lettre se fait payer le dîner par les deux autres. J'ai vu un Barba's pizzéria en arrivant dans le village.
- Sur le corps, se dépêcha de répondre Louis.
- J'opterais pour la lanterne de génie, dit Florian.
- De vrais gamins tous les deux... Dans la peluche du singe. C'est mon choix, dit Jay.
Chacun prit sur lui d'aller vérifier la théorie qu'il venait d'avancer. Rien. Pas un bout de papier dans les endroits choisis.
- Ben, on paiera chacun notre repas, dit Florian avec une face de mou.
- Quand tu fais cette face-là, Florian, je me dis que tu dois en avoir fait des mauvais coups quand tu étais petit, dit Louis, encore accroupi à côté du corps.
- Juste un peu, répondit l'initiateur de ce parie improvisé.
- On examinera tous les objets plus tard pour le trouver, dit Jay.
- Tu crois qu'on peut avoir affaire à un imitateur, étant donné que le public ne sait pas pour les bouts de lettre laissés ? Ça se pourrait. Le type tue le mec, le maquille en personnage de Disney, mais sans connaître tous les détails. Quoique le reste est vachement réussi. Il s'est donné un mal de chien, conclut Louis dans son argument.
- Non, dit Jay qui regardait les berges tout autour. Je suis persuadé que c'est notre tueur. L'ambiance de mort qui règne, les détails. C'est très rusé d'avoir choisi cet endroit. Je penche de plus en plus vers un suspect qui connaît plus que quiconque la nature et ses comportements. Ses variantes, sa composition, la façon de l'utiliser à ses propres fins. Son mode de vie à la limite. Très rusé. Très intelligent, même s'il laisse des indices. Il nous laisse voir ce qu'il veut bien que l'on voie. Rien de plus pour le moment. Le bout de lettre est forcément quelque part dans ce que l'on voit de cette mise en scène. On attend le photographe judiciaire et on fait transporter le corps. On n'en tirera rien ici. On ne peut même pas l'examiner dans cet état et ces circonstances.

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L'affaire Walt
Misteri / ThrillerRésumé : Amarok est, dans les légendes amérindiennes, le gigantesque esprit des loups. Un prédateur solitaire et nocturne. Dans cette histoire, Amarok est aussi un gigantesque prédateur, solitaire et nocturne... ... Il chasse l'humain. Vous ne verre...