Le jour tranquille filtrait à travers les volets de la chambre endormie. Les couettes chaudes et froissées recouvraient un corps engourdi par un sommeil mérité, après une nuit trop riche en émotions. Sur la table, figuraient quelques dossiers, des feuilles, et un sac éventré, d'où le canon d'un semi-automatique sortait à peine.
Tout était si paisible : n'interrompaient le silence que les ronflements sereins de l'homme à la crinière blonde, encore assoupi. La veille, il avait été en mission toute la nuit. Il n'avait même pas dîné en rentrant ; il était exténué.
Ces derniers jours, il s'endormait dès que sa tête se posait sur l'oreiller. Et c'était rassurant : pendant longtemps, il avait été proie à des insomnies terribles, qui le laissaient éveillé parfois des jours durant. Au moment où la lumière commençait à se rapprocher de ses yeux clos, il cumulait quelques heures de repos seulement. Malheureusement pour lui, ce n'était pas aujourd'hui qu'il pourrait profiter d'une grasse matinée.
« I'm an alligator,
I'm a mamma-papa coming for you... »
Soudainement, par les murs en papier de la pièce, les basses d'une chanson de Bowie interrompirent la quiétude, sans avertissement, le brusquant hors de son sommeil.
Cette mélodie étouffée était sa préférée. Il aimait l'écouter dans son baladeur, aimait l'écouter à la télé dans ses programmes favoris, mais la haïssait plus que tout lorsque son colocataire la balançait sur son lecteur à cassettes et ses enceintes à huit heures tapantes. La porte s'ouvrit, portant la voix du chanteur plus haut encore.
« I'm a space invader, I'll be a rock'n'rollin bitch for you »
- Alerte enlèvement, alerte enlèvement : le lieutenant Frederick dit avoir perdu sa rock'n'rollin bitch.
Un grand homme aux cheveux noirs de jais, vêtu d'une chemise bleue et tenant la veste de son tailleur par-dessus son épaule, apparut, presque aussi grand que la porte, pointa le bout de son nez en haussant un sourcil. Il poursuivit :
- Elle est même pas rentrée de la soirée et la voilà qui ronfle, sous le toit de son hôte, comme si de rien n'était...
L'homme remua sous ses draps et soupira longuement, entrouvrant un œil pour apercevoir son meilleur ami dans l'embrasure. En temps normal, il aurait annoncé ce genre de plaisanterie avec un sourire gigantesque, tenant un plateau de petit-déjeuner dans les mains sur lequel serait posé un thé à la camomille fumant. Ce matin, il paraissait inquiet, son aura était différente, il scannait les bras nus de son ami qui étaient parsemés d'hématomes tout en s'appuyant contre le bois de la porte.
- Comment tu te sens ? reprit-il doucement, en tentant de sourire malgré tout.
- Comme d'habitude, Rick... grogna le blond. Tu comptes me faire un interrogatoire de bon matin ?
- Relax, Josh. Je demandais seulement.
Il se permit de débouler dans l'intimité de son ami sans qu'il ne lui autorisât, chose qui ne différait pas de ses habitudes. Assis près du blond plus frêle, qui ramenait ses genoux vers lui et à présent le dos contre le mur, il put remarquer d'autres subtilités. Sa lèvre coupée semblait prête à saigner de nouveau, sa pommette virant au vert témoignait d'un choc, probablement avec un poing solide. Ce dernier se repassa mentalement les récents événements et détourna la tête, presque honteux.
- Me regarde pas comme ça.
- C'est donc ça, ton nouveau job...
Le colocataire secoua la tête, la baissa, joignit ses longues mains sèches. Joshua lui adressa malgré lui un regard empreint de remords, un regard coupable qu'il montrait rarement. On lui accordait une seconde chance et voilà qu'il foutait tout en l'air.