« Keep your 'lectric eye on me babe
Put your ray gun to my head »L'odeur du vieux cuir, du tabac, et de l'air conditionné sont les premières choses qu'elle reconnaît avec discernement. Ses lèvres pâteuses remuent, elle se sent nauséeuse. Elle se hisse sur un coude avec assurance, sauf qu'une douleur subite abdominale la dépouille de toute force. Retombant sur son flanc, elle souffle fortement. Dans sa langue maternelle elle ronronne quelques mots à l'intention du chauffeur qui reste impassible. C'est alors qu'elle remarque qu'elle est bâillonnée, les jambes et les poignets ligotés entre eux. Une chanson qu'elle a l'impression de connaître sur le bout des doigts est jouée à la radio.
« Press your space face close to mine, love
Freak out in a moonage daydream... oh yeah »Son premier réflexe est d'arracher le ruban adhésif recouvrant ses lèvres, ce qui est évidemment bruyant : en plus de son geignement de douleur, le bruit du scotch retiré vigoureusement attire l'attention du chauffeur. Ses yeux verts s'écarquillent et sa tête tente d'analyser la voiture à 360°. Le cendrier venait à l'instant d'éteindre la cigarette de l'homme devant elle, qui reposa calmement sa main gantée sur le volant. Elle frissonnait à la fois de douleur et de froid ; le sang martelait dans ses tempes et la fièvre amplifiait les effets de l'atmosphère glacée. Elle est pourtant habituée à la rudesse de l'hiver de son pays, que lui arrive-t-il ?
« Don't fake it baby, lay the real thing on me
The church of man, love, is such a holy place to be »Natasha est réellement perdue. La situation semble critique. Elle analyse de nouveau le véhicule mais sa migraine terrible la fait voir trouble. Il faut pourtant qu'elle garde l'esprit clair, c'est son premier objectif. Un méli-mélo de flashs se succèdent dans sa tête mais aucun n'a de sens. Ils paraissent tous complètement fictifs.
« Make me baby, make me know you really care
Make me jump into the air »La portière, pourrait-elle l'ouvrir ? Ils semblent rouler très vite, ce serait du suicide. Il lui faudrait au moins scier cette corde maintenant ses chevilles en place. Son regard atterrit sur un canif sous le siège, placé là comme si quelqu'un avait pensé à elle. Moins faible que tout à l'heure, la fille au teint de porcelaine se penche pour l'atteindre, tend ses dix doigts dans un élan de bravoure, mais s'immobilise rapidement une fois qu'elle remarque que le chauffeur a les yeux rivés sur elle à partir du rétroviseur. Sa main qu'il fait mine de poser sur le levier de vitesse se saisit d'une arme menaçante de la boîte à gants, et il la pointe machinalement dans sa direction. Prise la main dans le sac.
- Tu n'as pas intérêt à faire un seul geste de plus, il avertit en anglais.
Natasha a un sourire défiant, que le chauffeur tente de faire disparaître d'un regard noir. Ses yeux lancent des éclairs, mais il ne lui fait pas peur. Il ne pourrait pas la tuer, si elle était ligotée, il devait bien la mener quelque part, et ils devaient avoir besoin d'elle en vie. Elle fait mine de soupirer et de se retourner.
L'homme attrape le canif et le pose auprès du cendrier.
- Vous n'êtes vraiment pas drôles, vous autres, elle chuchota suffisamment fort pour qu'il l'entende.
Elle venait de s'exprimer avec son accent de soviétique, mais dans un anglais parfait. Motivée par le vif désir d'un jour aller à New York City, elle s'était lancé le défi de maîtriser cette langue en moins d'un an, et voilà que son premier contact avec un américain était vraisemblablement un kidnapping.
-Où va-t-on, taxi ?
Il ne répond pas.
-Je voudrais me redresser.