La nuit se retirait tout juste quand le blondinet posa le pied hors de son lit. Dans les vapes comme à chaque fois qu'il devenait matinal, il ne remarqua pas directement la petite touche personnelle que Natasha avait encore laissé sur le mur principal de la pièce, originellement décoré d'un tableau d'art moderne. Elle avait simplement dépassé les contours du cadre, comme si ce n'était qu'un carré déterminant les limites d'un monde plus vaste. Elle avait sacrifié une brosse à dents de l'hôtel pour projeter des gouttelettes. C'était une sorte de Pollock amateur, mais joliment fait au point de sortir de l'ordinaire.
Ils avaient pris une chambre avec deux lits séparés. Pour ne pas trop prendre de temps, il ne se baigna pas, même s'ils disposaient d'une mousse pour le bain et d'une baignoire luxueuse, faisant honneur à la double vasque. Le manteau noir recouvrit les vêtements qu'il avait porté pendant la nuit, puis il sortit avec un sac en tissu sur l'épaule et les clefs des voitures en main.
Un peu plus tard, après quelques heures, il revient, du rouge foncé tâchant ses doigts, et il retourne directement à la salle de bain. Natasha, à peine levée, tremblait de froid. Il la salue en passant mais elle est trop occupée à essayer de faire fonctionner le radiateur ; elle ne répond pas.
Il se rase soigneusement, applique une crème qui rend à ses cheveux blonds et rêches leur douceur et leurs ondulations. Il se vêtit du pull qu'il avait acheté lors de leur virée avec carte blanche, par-dessus une chemise au coloris lilas tendre.
Natasha s'était accroupie près du radiateur quand il regagne la chambre. En le voyant habillé comme un russe distingué, elle a un sourire entre la moquerie et l'attendrissement.
- J'ai l'air stupide ? il s'enquit, souriant un peu aussi.
- Très.
- Ça fait plaisir à entendre...
Elle le fixait. Il suffit de quelques secondes pour qu'il remarque finalement l'art plaqué au mur. Le blondinet l'analyse, en tentant de s'assurer que c'était bien un coup de sa protégée, puis se tourne vers elle, désapprobateur. Il ressemblait tant à un père grondant sa fille qu'elle en rit.
- On va devoir payer pour ça...
- Tu verras, ils vont aimer.
Après quelques préparations, ils descendent pour prendre le petit-déjeuner. Des gâteaux traditionnels russes, savoureux et sucrés, étaient disposés sur un buffet avec des mets de qualité. On sert du thé, du café, du lait chaud, et on accompagne même avec une petite dose d'alcool fort.
Assis en tête-à-tête à une table, ils mangent en discutant tranquillement. En apparence, c'était un couple pas très expressif, ou un couple qui avait tellement faim qu'ils ont les yeux rivés sur leur assiette et non pas l'un sur l'autre.
- J'ai pris l'habitude de dessiner sur les murs il y a assez longtemps je crois... elle explique d'abord à son ravisseur qui écoutait attentivement, sans en avoir l'air. Je crois que c'est parce que je n'arrive jamais à m'endormir. Je m'ennuie.
- Comment tu fais ça sur le mur en une nuit ? il demande, curieux, même s'il lui avait de nouveau fait la morale juste avant de commencer à beurrer sa tartine.
- Eh bien, j'ai vu les bombes de peinture que tu t'es procuré... Mais c'était trop simple. J'ai utilisé le vernis d'hier, tu sais, le vernis rouge et doré ?
- C'est pas prévu pour ça pourtant...
- Je sais bien. D'ailleurs, pourquoi tu as acheté de la peinture ?
