chapitre 3 : antalgique

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Devant les phares, se dessinent des cercles laiteux dans la nuit où il neigeait de plus en plus fort. La voiture s'immobilise. Le blondinet, sa capuche sur la tête, s'avance vers une cabine téléphonique où il tire quelques pièces de monnaie, qui disparaissent dans une fente indiquant le montant à glisser. Les doigts brûlant dans la basse température, il pressa sur les touches glacées. La vapeur de son souffle lui aurait presque brouillé la vue. Ce froid lui plaisait bien ; il était presque apaisant, il était tout ce qu'il aurait demandé pour distraire son esprit structuré et concentré sur sa mission le temps d'une seule seconde. C'était extrêmement fatigant que de se repérer de nuit, dans les alentours d'une ville que l'on ne connait pas.

Avec appréhension il serre le combiné, se frotte les tempes. Natasha ne le savait pas, mais il l'avait réellement sauvée aujourd'hui. Il avait fait preuve d'une ingéniosité hors du commun, du jamais vu, surtout par un froid pareil. Il était tranquille maintenant, il l'avait assommée dans un hôtel où personne ne la trouverait, elle était en sûreté. Et puis elle s'était calmée. Elle semblait dans un état second, comme un profond choc.

Il n'arrive pas à s'imaginer à sa place. Tout doit lui sembler si confus en ce moment. Il ne sait même pas si elle se souvient du moment où il l'a enlevée : il croisait les doigts dans sa poche pour que ça ne soit pas le cas. Il avait fait des monstruosités à en faire frissonner la Vénus d'Ille.

Son plan était pourtant simple : voler les plans des missiles révolutionnaires après s'être infiltré dans la fameuse demeure des Vasiliev en voyage, détruire la chambre forte, puis s'en tirer vif.

Tout se serait déroulé à merveille. Il avait absolument tout préparé : de quoi détourner leur système de sécurité sophistiqué, de quoi saouler leurs chiens, de quoi brûler les archives du père Vasiliev et même de quoi faire exploser la chambre forte. Seulement, lorsqu'il était descendu dans leur cave humide et froide, il avait perçu une voix bercer doucement les méandres des couloirs ténébreux, dans une pièce éclairée plus éclairée que le reste de la maison.

Une personne chantonnait sur des airs de Fleetwood Mac, l'air rêveur. C'est alors qu'il tomba des nues. Cette femme brune aux cheveux mouillés, vêtue d'une longue robe de laine, des lunettes vissées sur son nez droit et rosé, assise dos à lui, témoignait d'une tempête de sentiments : la solitude, l'abandon, le rejet, peut-être une pointe de mélancolie. Ce genre d'orage intérieur qui vous prend lorsque vous êtes seul et que vous prenez un malin plaisir inconscient à torturer votre esprit. Elle en hoquetait de temps à autre, la pièce froide embaumait le chocolat et l'alcool fort. Sa tempête se manifestait dans de grandioses gestes de crayon de graphite qu'elle frottait énergiquement contre du papier pour donner naissance à une œuvre lugubre. Il songea d'abord à un fantôme hantant la villa avant de se rappeler de son scepticisme d'athée. Il ne croyait qu'à la mort et aux impôts.

Il se serait contenté de la présence tranquille d'une âme d'artiste esseulée qui ne le remarquait pas, sauf que d'autres personnes s'étaient infiltrées ce soir-là, avec des motifs différents des siens. Plus vertueux ? Sans doute pas. Rien ne s'était déroulé comme prévu. Heureusement pour elle, il avait bricolé un plan B avec les moyens du bord.

Les voilà à présent, comme deux criminels en cavale, à fuir un gang de mafieux enragés à travers l'Union soviétique toute entière.

Une voix résonne à l'autre bout du fil. Elle ne parle ni russe, ni anglais. Joshua tressaille, et inspire profondément, les paupières closes. Plusieurs fois, il avait composé ce numéro par habitude ; c'était comme si son subconscient souhaitait renouer avec elle. Alors que la femme s'impatiente, il serre les poings et replace violemment le combiné. Non, il ne lui parlerait pas ce soir. Il devait contacter son ami.

Glitch 2.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant