Voile Gris

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       Un paysage grisonnant apparut. Il faisait sombre. Un voile noir surplombait l'entièreté du lieu. Une neige semblait flotter dans le ciel, peu visible, recouvrant tout. Des cris. Une voix hurlait, se lamentait, assourdissante, omniprésente. De nombreux points, des silhouettes, des insectes, tous s'approchaient de l'origine des cris, pressés et affolés, la nourrissant et interagissant sans cesse avec elle.
       La créature n'était pas seule. Une dizaine, voire plus, tous hurlaient, le vacarme était incessant et insupportable.
       D'immenses montagnes sombres gisaient. Les minuscules points noirs, innombrables, s'affaissaient parfois, s'immobilisaient à jamais. D'autres de ces insectes, distingués par leur taille, semblaient diriger et ordonner.
       Puis, je me rapprochai de ce paysage. Moi, dans ce long engin à vapeur, filant sur les rails. Ce tableau terne et triste se détaillait. L'évidence surgissait.
       L'air était irrespirable. La puanteur envahissante. La dense fumée noire empestait tout le local. La neige n'était que les particules de cette pollution. Les montagnes n'étaient que de gigantesques tas de déchets. Le hurlement provenait des immenses machines de l'usine, productrices de l'air souillé.
       Les lointaines taches noires, mobiles, de petits êtres de chair, noirs de suie, de poussière et de saleté, de jeunes enfants horrifiés. Ils courraient. Se hâtaient. S'empressaient, nourrissaient les machines ; ils s'effondraient, asphyxiés, drainés de tout. Les plus grands aboyaient les ordes, impartiaux.
       Une usine titanesque, créée par des hommes, pour des hommes. Des travailleurs qui mouraient à la tâche. Une machine alimentée par la vie, pourtant destructrice pour toutes ses formes. Et tout demeurait. Sans cesse. Sans relâche. Sans contestation, sans révolte, sans changement. Tout perdurait, inlassablement.

Recueil : Une Pensée pour moi-même ou pour personne (je crois)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant