Heure de Paris

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Dimanche 20 juin 2016 , toujours assis à ma table, l'ordinateur allumé depuis belle lurette, mon café s'est refroidi. Il est minuit quinze à la Sorbonne, Paris, lorsque soudain une révélation m'éclaire : demain, je retournerai au village.
Les années avaient passé, peut-être cinq ou six depuis ma dernière visite dans cette région. Quelques mois après mon départ pour l'université, ma mère a quitté la campagne pour s'installer chez sa sœur dans la capitale. Peu de temps après, mon oncle a également quitté le village pour partir en Mauritanie, attiré par une promesse d'embauche. Depuis lors, un fossé s'est creusé entre mon village natal et moi. Cette distance s'est encore accentuée lorsque j'ai poursuivi mes études à l'Université Paris-Sorbonne.

Le lendemain, je me rends à l'aéroport Charles de Gaulle où je prends le premier vol à destination du Sénégal. Je quitte Paris à 11h12. Après sept heures de vol, j'arrive enfin à l'aéroport Léopold Sédar Senghor. Sans perdre de temps, je monte dans le premier taxi en direction de Guéréo, mon village natal, situé à deux heures de Dakar, dans la commune de Mbour.

Le jour de mon retour au village, une atmosphère singulière flottait dans l'air, imprégnant chaque recoin de ce lieu qui m'était si cher. Le temps avait tracé son chemin, laissant derrière lui des empreintes indélébiles sur les visages et les paysages. C'était comme si le village lui-même avait vieilli, se parant de nouvelles rides et cicatrices qui racontaient les histoires de tous ceux qui y avaient vécu et qui avaient traversé les épreuves de la vie.

En marchant dans les rues familières, je ressentais une émotion mêlée d'excitation et de nostalgie. Les maisons qui autrefois résonnaient des rires des enfants semblaient maintenant plus silencieuses, rappelant les souvenirs enfouis de mon enfance. Les ruelles étroites se dévoilaient devant moi comme des chemins de traverse vers le passé, me ramenant à des moments où tout était plus simple, plus innocent.

Je me suis rendu à la maison où j'étais né, une demeure qui avait été témoin de tant de joies et de peines. Elle avait perdu de son éclat d'antan, les murs défraîchis et les fenêtres ternies par le temps. Pourtant, elle gardait encore une certaine majesté, une aura qui témoignait de son histoire et de sa résilience face aux assauts du temps. Je me suis arrêté devant cette relique du passé, me remémorant chaque pièce, chaque recoin qui avait été le théâtre de ma croissance.

Mais au-delà de l'aspect matériel, c'était l'absence d'Aïcha qui me tourmentait le plus. Depuis notre rupture, j'avais tenté de trouver l'amour auprès d'autres femmes, espérant combler ce vide qui persistait en moi. J'ai rencontré plusieurs personnes, partagé des moments agréables, mais il y avait toujours ce sentiment de manque, cette inexplicable connexion qui me manquait cruellement. Aucune d'entre elles n'avait pu raviver la flamme qui brûlait autrefois avec Aïcha.

Alors, dans ma quête désespérée de retrouver cette étincelle perdue, j'ai pris la décision de revenir au village, dans l'espoir secret de la revoir. J'étais prêt à tout, prêt à défier le destin pour revivre ne serait-ce qu'un instant ce sentiment intense qui avait marqué nos vies. J'ai parcouru chaque rue, scrutant les visages, cherchant son regard familier parmi les passants. Mais le temps avait fait son œuvre, et les traces d'Aïcha semblaient s'être dissipées dans l'océan du temps.

Le poids de ma quête amoureuse était devenu insoutenable, mais l'univers a parfois ses propres plans, ses propres surprises. Alors que je me perdais dans les rues à la recherche d'Aïcha, une rencontre inattendue est venue éclairer ma route. Mame Binetou, la meilleure amie d'Aïcha, est apparue devant moi comme un messager du destin. Dans ses yeux, j'ai pu lire une histoire que je redoutais mais que je pressentais au fond de mon cœur : le mariage arrangé d'Aïcha avec Balaye.

Cette révélation m'a laissé un goût amer dans la bouche, une douleur aiguë qui tranchait mes espoirs les plus fous. J'étais confronté à la réalité implacable de la vie, à ces conventions sociales qui écrasent parfois nos aspirations les plus profondes. Mon amour pour Aïcha semblait condamné, piégé dans les mailles d'une toile tissée par d'autres mains.

Le cœur lourd, je suis retourné à Dakar, emportant avec moi le poids de ce secret partagé par Mame Binetou. Les jours se sont écoulés, lents et tortueux, chaque minute marquée par la douleur de l'absence. J'ai tenté de me reconstruire, de trouver un équilibre dans ma vie professionnelle et mes activités, mais mon esprit était constamment hanté par les souvenirs d'Aïcha.

Deux semaines plus tard, à la veille de mon retour à Paris pour me replonger dans la préparation de ma thèse, qui doit être soutenue dans six mois, un événement inattendu est venu bouleverser mon existence une fois de plus. Le père d'Aïcha, un homme que je n'avais pas revu depuis des années, a fait irruption dans mon cabinet. Son visage trahissait la stupeur et la détresse, des émotions qui reflétaient les miennes.

Il m'a raconté son histoire : un partenariat commercial avec un Asiatique qui s'est soldé par un échec cuisant, le laissant ruiné tant financièrement qu'émotionnellement. Sa femme l'avait abandonné, le laissant seul face aux décombres de son existence.

Dans cette histoire teintée de tristesse, une lueur d'espoir a émergé. J'ai appris que le mariage d'Aïcha avec Balaye avait également pris fin, que leur union n'avait pas survécu aux épreuves du temps. Au milieu de ma propre douleur, j'ai trouvé un soupçon de réconfort dans ce dénouement inattendu.

Cela m'a rappelé que la vie est complexe et imprévisible, que les chemins que nous empruntons sont sinueux et parfois contradictoires. Le malheur qui avait touché le père d'Aïcha s'était transformé en une opportunité de libération pour elle. Cela m'a fait réaliser que parfois, lorsque les vies s'entremêlent, les chemins se séparent pour mieux se retrouver.

Bien que la nouvelle m'ait ébranlé, je n'ai pu m'empêcher de ressentir un brin d'espoir, un élan de possibilités. Peut-être, juste peut-être, nos chemins se recroiseront un jour.

Un Amour impossibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant